Collèges et universités : qui manquera la « rentrée des classes»?

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1 septembre 2015
Auteur(s) :
Stephen Toope, President of the Federation for the Humanities and Social Sciences

Ce texte d'opinion a été publié dans The Globe and Mail le 31 août 2015. 

Par Stephen Toope, Président de la Fédération des sciences humaines.

À l’heure où des millions de jeunes canadiens s’apprêtent à retourner en classe à l’automne, la clameur autour de la « rentrée » est omniprésente—dans la publicité, les gros titres de presse et autour de la table familiale à travers le pays. Quels enseignants, quels cours, quel diplôme, quelle tenue vestimentaire et où faut-il être? Mais pour beaucoup de gens au Canada, et spécialement pour ceux qui œuvrent dans le secteur de l’éducation, d’autres questions ont commencé à se démarquer. Qui ne sera pas de cette rentrée? Qui manquera à l’appel et qu’est-ce qui fait défaut sur nos campus?

Ces questions passent au premier plan cet automne en raison du travail innovant de la Commission de vérité et réconciliation (CVR) présidée par le juge Murray Sinclair, enrichi par la déposition de plus de 6 000 témoins dont la bravoure a réussi à esquisser un tableau nouveau et plus honnête de l’ensemble du système éducatif du Canada. Le rapport de la CVR contient à cet égard des révélations stupéfiantes, brutales et d’une importance vitale.

La « rentrée scolaire » n’aura et ne devrait plus avoir désormais la même résonnance.

Les Canadiens ont été appelés à l’action pour contribuer à un processus de réconciliation avec les peuples autochtones au Canada.

L’augmentation du nombre des diplômés appartenant aux Premières Nations et aux populations métisses et inuits au niveau postsecondaire représente un élément important du défi. Il s’agit d’un impératif sur le plan des droits de la personne et constitue—comme il ressort du recensement—une priorité indéniable pour les gouvernements et les institutions postsecondaires.

Moins de 50 % des Autochtones âgés de 25 à 64 ans sans diplôme d’études secondaires ont un emploi. Dans le cas des Autochtones ayant terminé le secondaire, le taux d’emploi progresse à 67 %, à hauteur de 75 % chez les diplômés d’université et à 84 % chez les détenteurs d’un baccalauréat universitaire. Qu’en est-il du taux d’emploi des Canadiens non autochtones diplômés du baccalauréat? Il s’élève à 83 %. L’écart se réduit et l’affaire est entendue.

Au chapitre du revenu, les résultats sont aussi éloquents. Les Autochtones ayant obtenu leur certificat de fin d’études secondaires gagnent en moyenne 36 000 $ par année. Ceux qui détiennent un baccalauréat 55 000 $ en moyenne, 67 000 $ dans le cas d’une maîtrise et 71 000 $ chez les titulaires d’un doctorat. En clair, l’éducation postsecondaire (EPS) est un facteur manifeste d’atténuation des inégalités du revenu et de réalisation du potentiel économique chez les Canadiens autochtones, et ce, à l’avantage du pays tout entier.

Mais, en dépit du nombre croissant des diplômés des Premières Nations, Métis et Inuits, l’écart avec le reste de la population ne cesse de croître. Seulement 8 % des Autochtones adultes âgés de 25 à 64 ans détiennent un grade universitaire, tandis que le pourcentage s’élève à 23 % pour le reste de la population.

Nous devons accroître le taux d’obtention d’un diplôme d’études secondaires chez les étudiants autochtones, veiller à la disponibilité d’aides sur les plans financier, social et culturel, ainsi que de soutiens en faveur du passage à l’EPS. Le niveau de financement fédéral à l’appui des étudiants autochtones qui fréquentent les établissements postsecondaires s’est élevé de seulement 2 % l’an depuis 1996—tandis que les frais d’inscription et le coût de la vie ont augmenté plus rapidement. Et le nombre d’étudiants autochtones qui nécessitent de l’aide s’est accru proportionnellement à cette population. Le plafonnement des ressources du gouvernement doit être levé.

Mais le défi et la promesse de réconciliation pour le secteur postsecondaire ne se limitent pas seulement à permettre à un plus grand nombre d’étudiants autochtones d’obtenir un diplôme. Une approche globale s’impose en assumant, entre autres, la responsabilité des actions du passé et en mettant nos institutions et nos pratiques au défi de créer les conditions favorisant des relations plus saines.

Les cursus, les programmes et la gamme étendue des services universitaires doivent mieux promouvoir et respecter le savoir, les expériences et la vision du monde autochtones afin que tous les étudiants puissent apprendre et tirer parti des échanges et de la compréhension d’autres points de vue. Les facultés universitaires, le personnel administratif et les structures de gouvernance doivent évoluer pour mieux soutenir la participation et le leadership des chercheurs autochtones et des détenteurs des connaissances traditionnelles.

Fait encourageant, un nombre croissant d’universités et de collèges à la grandeur du Canada se mobilisent en faisant des annonces marquantes à titre individuel et à l’échelle du secteur, concernant les principes fondamentaux et les engagements pour l’action. La University of Saskatchewan, par exemple, s’est engagée à mettre en œuvre des programmes rigoureux propices au succès de l’étudiant autochtone, attentifs à l’inclusion du savoir et de l’expérience autochtone dans les disciplines enseignées et garants de l’engagement interculturel parmi les membres du corps professoral, le personnel et les étudiants. La University of Manitoba a présenté des excuses officielles aux survivants des pensionnats et établi le Centre national pour la vérité et réconciliation.

Fondamentalement, en tant que secteur, nous devons savoir écouter, converser et écouter encore. Le dialogue et l’interaction entre les étudiants autochtones et non autochtones, les professeurs et les membres de la communauté doivent sous-tendre la création commune d’un nouvel avenir.

Et cela commence dès cet automne, pour la rentrée des classes.