L’interdisciplinarité au service des dépendances comportementales

Balado
26 septembre 2025

Picture of the Big Thinking Podcast microphone with a headset

 

Introduction | À propos de l'invitée | Retranscription | Suivez nous

Introduction

Pourquoi est-il essentiel de croiser les regards, les expertises et les méthodologies de différents domaines pour mieux comprendre la complexité des défis en matière de santé publique? Quels sont les bénéfices concrets observés lorsque des chercheuses et chercheurs issu.e.s de différents domaines collaborent ensemble?

Aujourd'hui sur le balado Voir Grand, Karine Morin est rejointe par Magaly Brodeur, clinicienne et chercheuse à l'Université de Sherbrooke, afin d'explorer l'importance des approches interdisciplinaires pour soutenir la recherche importante face à des problèmes complexes.

À propos de l'invitée

Photo de Magaly BrodeurMagaly Brodeur est médecin de famille. Elle a obtenu son certificat du Collège des médecins de famille du Canada en 2020 après avoir obtenu son diplôme de médecine et effectué sa résidence en médecine familiale à l'Université de Sherbrooke.

Magaly Brodeur est également clinicienne-chercheuse et professeure adjoite à la Faculté de médecine des sciences de la santé de l'Université de Sherbrooke. 

Ses recherches portent sur les politiques de santé, notamment sur l'amélioration des politiques publiques et des soins de santé pour les personnes vulnérables, en particulier celles souffrant de dépendance comportementale.

 

[00:00:12] Karine Morin : Bienvenue au balado Voir Grand où nous abordons les questions les plus importantes et les plus intéressantes de notre époque en compagnie d'éminents chercheurs et chercheuses en sciences humaines. Je m'appelle Karine Morin, je suis la Présidente et cheffe de la direction de la Fédération des sciences humaines et j'ai le plaisir d'animer l'épisode d'aujourd'hui. 

[00:00:32] Pourquoi est-il essentiel de croiser les regards, les expertises et les méthodologies de différents domaines pour mieux comprendre la complexité des défis en matière de santé publique? Quels sont les bénéfices concrets observés lorsque des chercheuses et chercheurs issu.e.s de différents domaines collaborent ensemble? 

[00:00:52] J'ai le plaisir d'accueillir Magaly Brodeur, clinicienne et chercheuse, professeure adjointe à la Faculté de médecine et des sciences de la santé de l'Université Sherbrooke. Ensemble, nous allons explorer l'importance des approches interdisciplinaires pour soutenir la recherche percutante face à des problèmes complexes. Bonjour Magaly Brodeur.  

[00:01:15] Magaly Brodeur : Bonjour 

[00:01:15] Karine Morin : Aujourd'hui vous me permettez de parler d'un de mes sujets préférés : l'interdisciplinarité. J'ai moi même travaillé dans le domaine de la bioéthique et du point de vue de ma carrière, ça a été une base essentielle. Vous êtes médecin, ce qui souvent suggère un parcours d'études tournés vers les sciences de la santé, la biologie, la biochimie. 

[00:01:37] Mais vous avez aussi un doctorat en sciences humaines appliquées et avoir tout ça, des études qui ont touché à l'économie, aux relations internationales, à l'histoire, à l'administration publique, tout ça est peu commun. Et j'ai l'impression que vous êtes une personne profondément curieuse. 

[00:01:53] Qu'est ce que vous retenez de vos études en sciences humaines et sociales, de cette formation dans des domaines si différents de la médecine? 

[00:02:01] Magaly Brodeur : En fait, mon parcours en science humaine et sociale a vraiment été extrêmement formateur pour moi. C'est quelque chose d'enfant qui marque et qui imprègne mes recherches et mes travaux quotidiennement. Mais c'est extrêmement riche, ce parcours-là que j'ai eu, qui est un peu atypique, comme vous le dites, pour quelqu'un qui est plus dans le domaine des sciences de la santé. 

[00:02:22] Mais je vois ça comme une grande force qui me permet d'allier les différentes expertises pour pouvoir réussir à mieux répondre justement aux grandes questions que je me pose à travers mes travaux de recherche. 

[00:02:35] Donc ça a été un long parcours qui a été comme un peu rempli de questions et qui m'a mené en médecine. J'ai commencé en administration des affaires à HEC Montréal. Et puis à ce moment-là, j'avais vraiment beaucoup de plaisir, mais j'ai réalisé que j'avais beaucoup d'intérêt pour l'économie. 

[00:02:54] Donc, en discutant avec un professeur, il m'a dit que ça serait mieux, vraiment de me spécialiser, de faire un baccalauréat en économie et non en administration des affaires. Donc, à ce moment-là, j'ai fait un changement de programme et d'université pour vraiment me concentrer sur l'économie.  

[00:03:09] Donc j'ai fait un baccalauréat en économie avec une mineur en relation international. Et puis à la fin de notre parcours, on devait faire un projet de fin de bac. Et puis à ce moment-là, moi, je m'intéressais beaucoup aux sociétés d'état. Et puis il y avait beaucoup de questions – et on a encore la question au Québec - est-ce qu'on privatise la société des alcools du Québec? 

[00:03:33] Donc à ce moment-là, j'ai fait mon projet de fin de bac sur ça, et puis ça m'a soulevé plein de questions, j'en ai appris aussi beaucoup sur les enjeux de santé en lien avec, entre autres, la consommation d'alcool, et je me suis dit mais que ce serait vraiment pertinent de poursuivre à la maîtrise.  

[00:03:47] Donc là, la maîtrise avait plein d'options devant moi de poursuivre en économie, mais il y avait vraiment une histoire qui m'intéressait beaucoup parce que je me rendais compte qu'il y avait des choses que je voulais comprendre, pourquoi on était arrivé justement à créer des sociétés d'état et entre autres, c'est la société des alcools du Québec.  

[00:04:05] Mais c'est à ce moment-là qui est arrivé, quelque chose de marquant, je vous dirais, dans mon parcours où mon directeur de mémoire à l'époque qui est un historien qui est maintenant à l'université Concordia qui m’a dit : « Mais Magaly, est-ce que tu pourrait peut-être regarder à travailler peut-être sur d'autres choses que l'alcool, autre chose que la société des alcools du Québec. » 

[00:04:27] Et puis à ce moment-là, j'ai dis je vais aller regarder, on va voir, et puis c'est à ce moment-là que je suis tombée sur Loto-Québec. Donc là, en regardant rapidement la littérature, je me suis rendue compte qu'il n’y avait pas grand chose qui avait été fait justement sur l'histoire des jeux d'hasard et d'argent tant au Canada qu'au Québec.  

[00:04:43] Et puis c'est comme ça que mon parcours a commencé. Donc, mon mémoire de maîtrise s'intéressait vraiment à tout ce qui était ‘l'avant’, la création de Loto-Québec donc toute l'époque où est-ce que les jeux de hasard et d'argent étaient interdits, prohibés au Canada et ça nous a donné un parcours, justement jusqu'à la création de Loto-Québec. 

[00:05:03] Donc, quand j'ai terminé ma maîtrise, et là, j'avais plein de questions parce que les gens, souvent, quand je parlais de mon mémoire, ils me disaient, « mais qu'est-ce que tu penses du contexte actuel? » On a l'état qui est responsable des jeux d'hasard et d'argent, ça crée des problèmes de santé chez les gens, qu'est-ce qu'on fait avec ce double chapeau-là? 

[00:05:20] Et puis dans le cadre de mon doctorat, je me suis vraiment intéressée à toute la question de la responsabilité sociale de l'état en lien avec justement les jeux d’hasard et d'argent, mais aussi à tout ce qui entoure la construction du problème public qui représente le jeu excessif dans l'espace public. 

[00:05:38] Donc, j'ai vraiment eu énormément de plaisir à faire mon mémoire qui me permettait de jumeler les diverses disciplines, autant l'éthique, l'économie, la santé publique. Et puis à la fin du parcours, c'était le moment de décider qu'est-ce que j'allais faire par la suite, on arrive toujours à la fin du PhD, donc, qu'est ce qu'on fait? Je savais que je voulais devenir chercheure, mais j'avais l'impression qui manquait un petit quelque chose de contact, soit directement avec les gens. 

[00:06:09] Karine Morin : Un petit quelque chose qui manquait, un autre diplôme en médecine. 

[00:06:14] Magaly Brodeur : Exactement. Et puis, c'est à ce moment-là que j'ai décidé de faire le saut en médecine et puis de pouvoir réaliser par la suite une carrière de clinicienne chercheure. Donc un long parcours, mais beaucoup de plaisir. Et puis un fil conducteur qui m'a permis de travailler sur une thématique qui me tient à cœur. 

[00:06:33] Karine Morin : Mais j'ai l'impression qu'il y a quand même beaucoup de personnes qui doivent penser que ce parcours était rempli de détours inutiles, qu'est-ce que vous répondez à ça? 

[00:06:43] Magaly Brodeur : Définitivement, c'est sûr que de l'extérieur, on peut se dire, mais pourquoi tout ça pour finalement mener à ça. Donc ça aurait pu être uniquement de faire, par exemple, des études en médecine, ensuite de compléter avec une maîtrise ou un doctorat, faire une carrière de clinicienne chercheure.  

[00:06:58] Mais en fait, moi, ce que je dirais, c'est que je ne pourrais pas produire les mêmes travaux, ça n'aurait pas la même couleur. Ce ne serait vraiment pas pareil. Il y a souvent mon parcours en économie qui vient jouer, mon parcours en histoire.  

[00:07:10] Donc j'inclue l'économie comportementale, j'ai toujours cet espèce de souci d'aller bien comprendre le passé, qu'est ce qui nous a mené à prendre des décisions, d'avoir aussi le désir d'adopter des méthodes mixtes, donc vraiment d’un côté avoir les science de la santé, on peut être parfois très du côté quantitatif, mais d'avoir aussi le désir d'aller comprendre, de faire beaucoup d'approches qualitatives que ça vient tinter mon approche.  

[00:07:37] Et puis je ne pourrais définitivement pas faire les mêmes travaux sans avoir fait tout ce parcours-là. Et puis ça l'amènerait pas non plus le même le même point de vue. Je peux mettre des lunettes différentes, selon que je regarde une problématique, mais je pense que c'est ça qui fait un peu la richesse de mon apport ou de c'est ce qui me distingue.  

[00:07:56] Karine Morin : Certainement.

[00:07:57] Magaly Brodeur : Puis je pense que c’est important et je pourrais pas vraiment faire la même chose à mes yeux.  

[00:08:06] Karine Morin : Important et utile et précieux. Donc vous venez de le dire, vous êtes clinicienne chercheure et votre domaine de spécialisation donc les dépendances comportementales, pouvez-vous nous expliquer en quoi ça consiste.  

[00:08:18] Magaly Brodeur : Oui, en fait, les dépendances comportementales, c'est toutes les dépendances qu'on appelle sans substance. Donc c'est vraiment les dépendances qui sont associées à un comportement. On va, entre autres, penser à l'usage, par exemple des médias sociaux, d'internet, des jeux vidéo ou encore les jeux d'hasard et d'argent comme jouer au poker, ou encore aux jeux en ligne ou aux machines à sous.  

[00:08:41] On connaît beaucoup les dépendances avec substance, c'est quelque chose dont on entend souvent parler, on va penser à la dépendance, à l'alcool ou encore aux drogues, au tabac, mais du côté des dépendances comportementales, c'est quelque chose qui est un petit peu plus nouveau dans l'imaginaire.  

[00:08:57] Et c'est seulement depuis 2013 que les dépendances comportementales ont fait leur introduction dans notre ‘bible’ en psychologie, le DSM. Donc avant, il y avait un petit reclassement qui a été fait où c’était dans le trouble du contrôle des impulsions. Et puis finalement, la littérature démontrait qu'il y avait des grandes ressemblances avec les dépendances avec substance. Donc un champ d'étude qui est extrêmement porteur et qui est aussi d'actualité. 

[00:09:22] On le voit, on l'a vu dans les dernières années, surtout durant la pandémie ou on s'est tourné beaucoup en ligne. Donc c'est essentiel, justement de s'intéresser à cette dépendance-là et puis de pouvoir fournir justement des pistes de solutions pour réduire les méfaits qui y sont associés.  

[00:09:38] Karine Morin : C'est vraiment fascinant de penser qu'on peut encore, comme “découvrir” ou du moins “définir” des nouveaux champs de recherche. Donc, parlons-en un peu de la recherche que vous faites. Je serais curieuse si vous pourriez décrire, brièvement, un peu comment vos recherches procèdent, quelles sont les méthodes, vous venez d'y faire allusion un peu.  

[00:10:02] Décrivez nous un peu un projet de recherche, la méthodologie que vous utilisez pour aller explorer les dépendances comportementales.  

[00:10:10] Magaly Brodeur : Oui. Donc, je peux vous donner différents exemples, comme si je commence avec un exemple qui s'intéresse aux trajectoires de soins de santé de services sociaux des personnes qui présentent un jeu problématique au Québec. 

[00:10:22] C'est un projet qu'on fait avec un organisme : Organisme Jeu aide et références qui est financé par le ministère de la santé de services sociaux qui offre des services justement de référence, on peut les contacter par téléphone, par clavardage en ligne, par exemple, avec des difficultés en lien avec le jeu problématique. 

[00:10:39] Et puis nous, ce qui nous intéresse, c'est qu’une fois que les joueurs ont contacté l'organisme, quelle est leur trajectoire dans le système de santé? Parce qu'on sait, ça peut parfois être tortueux, il faut aller cogner à diverses portes. Des fois, on se fait revirer, des fois on se retrouve sur des listes d'attente.  

[00:10:55] Des fois c'est nous qui changeons d'idée, ce n'est pas toujours facile des fois on tombe entre deux chaises, on nous oublie. Donc nous dans le cadre de ce projet-là, en fait, c'est une étude qualitative qui est en deux phases. Donc, dans notre première phase, c'est vraiment de faire des entretiens semi-dirigés avec des personnes qui présentent un jeu problématique. 

[00:11:14] On les rencontre après leur rappel à l'organisme Jeu aide et références et ensuite de ça, on les rappelle un an plus tard pour savoir, mais qu'est ce qui s'est passé dans la dernière année? Vous avez été référé? Quel a été votre parcours? Et maintenant à quoi ressemblent vos habitudes de jeux? L'objectif, c'est d'avoir justement la trajectoire des joueurs, d'avoir aussi leur opinion en matière des soins qu'ils ont obtenu, des difficultés qu'ils ont pu vivre. 

[00:11:39] Donc ça, c'est un volet. Puis l'autre volet en fait, des groupes de discussions, cette fois ci, avec des intervenants. Des intervenants, justement des organismes ou des “bras”, si on veut du système de la santé des services sociaux où est-ce que les joueurs ont été référés par l'organisme Jeu aide et références.  

[00:11:52] Donc, notre objectif, c'est vraiment d'aller chercher la perspective à la fois des intervenants, à la fois des personnes joueuses pour pouvoir proposer des pistes d'action pour améliorer les soins santé et services sociaux qui sont offerts aux personnes qui présentent un jeu problématique. 

[00:12:06] On a aussi un autre projet qui s'intéresse aux normes sociales qui entourent l'usage des téléphones intelligents chez les jeunes de 18 à 25 ans. Donc notre objectif dans le cadre de ce projet-là, c'est comprendre un peu, c'est quoi les normes sociales qui entourent l'usage, justement de ces fameux téléphones intelligents chez les jeunes. 

[00:12:24] Et puis dans quel contexte est approprié? Dans quel contexte de l'époque, ce qui est considéré comme un peu une dépendance? Qu'est-ce qu’il l’est moins? De vraiment comprendre leur perspective pour ensuite de ça, on fait des entretiens. La phase 1 c'est des entretiens semi-dirigés avec des jeunes.  

[00:12:42] Mais notre phase deux, ça va être des ateliers de co-construction qu'on va réaliser avec les mêmes jeunes qui ont participé à nos entretiens. On va leur présenter un peu qu'est ce qu'on a trouvé, qu'est ce qu'il y en est, puis de développer des messages visant à sensibiliser les jeunes, puis à prévenir et réduire les méfaits. 

[00:12:58] Puis pour ça, on va utiliser un peu l'économie comportementale, justement pour pouvoir jouer sur des messages qui vont pouvoir vraiment influencer les jeunes à changer leurs habitudes. On va le faire vraiment en co-construction avec eux. 

[00:13:09] Donc un peu le type de méthode qu'on peut utiliser. Si vous voulez que je vous présente d'autres projets, parce qu'on en a plein, puis qu'on utilise parfois aussi des méthodes quantitatives parce qu’on en a vraiment beaucoup, mais ça c’étaient deux projets que je trouve intéressant.  

[00:13:25] Karine Morin : Et je les aime bien, puis effectivement vous démontrez toute l'importance de la recherche qualitative, même dans des domaines de santé, même là, où on serait porté à croire que tout se fait au niveau statistiques, etc, etc.  

[00:13:36] Vous venez de décrire un peu qu’il y a de la coproduction, puis on parle souvent de mode de recherche axé sur le patient. Comment voyez-vous ces participants et participantes qui deviennent très impliqués dans un projet de recherche? 

[00:13:52] Comment caractérisez-vous leurs contributions? Qu'est-ce que ça apporte de plus, d'avoir cette perspective non experte, faire partie d'une collaboration en recherche. Qu'est-ce que les patients apportent de plus que ce que les experts savent déjà ou essayent de comprendre? 

[00:14:12] Magaly Brodeur : En fait pour nous, les patients partenaires sont extrêmement précieux. Dans le cadre de tous nos projets, on a des personnes citoyennes-partenaires ou des personnes patients-partenaires qui sont impliquées. 

[00:14:24] Souvent ils vont siéger au sein d'un comité à [...] pour pouvoir nous aider justement à décider des orientations du projet, puis pouvoir nous aider aussi à s'assurer qu'on répond vraiment aux besoins du terrain et nous amener leur perspective comme patient comme citoyen, comme personne qui a le vécu avec la maladie, ou une personne qui avait vécu avec un proche qui a la maladie.  

[00:14:47] Donc c'est fondamental, ça vient changer profondément nos travaux. Puis ça nous intéresse même tellement qu'on a fait deux projets de recherche, mais un projet de recherche en deux phases qui portait spécifiquement sur les patients-partenaires en recherche. 

[00:15:00] Donc on en a fait un pour comprendre leur expérience, mais comment ça se passe de collaborer avec des chercheurs en santé? Parce que ce n'est pas toujours non plus facile pour eux. Ce n'est pas toujours facile non plus pour les chercheurs. Donc on est allé chercher vraiment le point de vue des patients partenaires et aussi le point de vue des chercheurs pour vraiment avoir les deux côtés. 

[00:15:17] Et voir, mais quelles recommandations on pourrait faire pour réussir justement à améliorer les collaborations? Parce que sur papier, ça, à l’air beau ça à l'air facile, mais c'est rempli, c'est ça de difficultés de part et d'autre autant du chercheur d'adapter son rythme, et la recherche aussi d'apprendre à bien vulgariser, expliquer les travaux s'adapter aussi. 

[00:15:40] Des fois, ça peut être des personnes qui peuvent présenter, par exemple, dans notre cas, nous, à nos travaux, un trouble lié aux jeux et dépendances, donc avoir des périodes de rechute où parfois nos partenaires vont être plus difficile à rejoindre ou des enjeux, et puis donc de trouver un bon terrain d'entente. 

[00:15:56] On collabore beaucoup avec les patients partenaires du centre hospitalier universitaire de Sherbrooke. Et puis c'est vraiment des alliés précieux, donc, ils ont souvent initié des projets, ils nous ont fait des suggestions, et ça, c'est extrêmement riche, extrêmement précieux, ça permet de vraiment développer des choses qui vont avoir un impact concert dans la communauté.  

[00:16:23] Karine Morin : J'aime beaucoup quand on peut donner au public une expérience ou un certain regard sur ce qu'on fait au niveau académique sur ce que c'est la recherche. Je veux revenir donc quand même sur l'interdisciplinarité, vous l'êtes vous même, mais je comprends bien que vous travaillez avec des équipes interdisciplinaires. 

[00:16:43] Décrivez nous un peu à quoi ressemblent vos discussions d'équipes interdisciplinaires, qu'est-ce que c'est de voir ces différentes perspectives s'entrecroiser pendant des activités de collaboration ou des rencontres d'équipe? C'est quoi une conversation interdisciplinaire avec vos équipes?  

[00:17:02] Magaly Brodeur : C'est tellement agréable de travailler avec des personnes qui ont différents chapeaux, qui ont différentes lunettes, parce que ça permet justement de faire des projets qui vont être de plus grande qualité, qui vont être plus riches, qui vont nous assurer de couvrir aussi certains angles morts. 

[00:17:18] Donc ça peut être parfois quand on a des collaborateurs qui peuvent venir de différentes disciplines ou professions, dans le milieu de la santé on va travailler par exemple avec des psychologues, des infirmiers/infirmières, d'autres médecins qui peuvent être des médecins spécialistes comme des psychiatres, mais aussi, du côté, vraiment, on peut parler avec des sociologues, on peut travailler avec des anthropologues.  

[00:17:39] Donc c'est de s'asseoir tout le monde ensemble - des épidémiologistes - et puis de dire de quelle manière est-ce qu'on peut réussir à répondre à la question qu'on se pose. Et puis tout le monde amène des idées, c'est ça la différence, on réussi toujours à trouver une espèce de point qu’on dit “oh waw, si on réussit à faire ça, ça va être vraiment extraordinaire.” 

[00:17:56] On peut miser justement sur l'expertise de nos collègues, de nos collaborateurs, et puis pouvoir justement, ça fait un peu boule de neige, ça fait en sorte que le projet est extrêmement intéressant. Donc ça, c'est toujours une priorité quand on développe nos projets d'aller chercher une variété d'expertise pour vraiment s'assurer qu'on va pouvoir couvrir la problématique d'un œil totalement différent. 

[00:18:22] Le but c'est de créer des équipes où est ce qu'on est un peu tous différent, qu'on amène chacun notre petit morceau de casse-tête pour pouvoir faire le projet. Et puis même au sein de l'équipe, autant les étudiants et les professionnels de recherche, pour faire de la recherche, c'est aussi une richesse et qu'on a même au sein de notre équipe et des parcours qui sont très, très, très différents, qui ne sont pas nécessairement classiques et des parcours un peu atypique, mais qui permettent justement d'amener cette espèce de vision-là qui va être différente.  

[00:18:55] Puis je pense qu'il faut toujours rester à l'écoute de tout ça, puis c'est ce qui fait qu'on peut, en bout de ligne, réussir à produire des choses qui vont être originales, des fois un peu différentes, et qui vont pouvoir rejoindre les gens.  

[00:19:12] Donc, en ayant du côté scientifique une variété, on essaye d'avoir aussi au niveau de la communauté, une variété. Donc oui, des patients, des personnes citoyennes, mais aussi des organismes communautaires ou des acteurs qui sont impliqués dans le domaine. Donc, le plus de gens, on assoie autour de la table, pour nous, c'est ce qui va nous permettre justement de nous assurer de mieux répondre à la question qu'on se pose.  

[00:19:37] Karine Morin : Donc vraiment la profondeur, un éventail large des perspectives larges, innovantes, puis semblent même presque des fois, peut-être un peu inattendue. Avez-vous, par hasard, un exemple d'instance de conversation peut être ou vous avez changé d'avis par rapport à une perspective clinicienne à cause de cet ensemble de perspectives. À un moment donnée vous vous êtes dit “wow, ça, j'y avait pas pensé” puis c'est venu particulièrement de cette conversation interdisciplinaire.  

[00:20:10] Magaly Brodeur : C'est souvent des fois c'est plus les patients, les personnes citoyennes qui viennent apporter une vision différente dans nos projets ou qui viennent un peu témoigner de leur expérience ou leur vécu, puis de nous dire “si vous posez les questions comme ça, si vous allez faire un recrutement et de telle façon même, c'est peut-être pas nécessairement la meilleure la manière de faire ou de réussir.”  

[00:20:41] Un bon exemple que j'ai, qui est un exemple récent qui était avec l'organisme Jeu aide et références où là, c'est vraiment des partenaires qui nous ont et nous aidés dans le recrutement, bien entendu, des personnes participantes à l'étude.  

[00:20:55] Et puis il y avait l’enjeu que quand les personnes joueuses, quand elles appellent, elles sont souvent en crise donc c’est une période où il y a une grande détresse psychologique, et puis c'était de trouver, mais le comment, quelqu'un qui ne sent pas bien, qui appelle, qui vit des difficultés, puis qu'on lui présente un projet de recherche, puis qu’on lui dit : “Regardez, ça ne va pas bien, mais on aimerait vous suggérer de participer à un projet, on pense que ce serait bien pour vous."  

[00:21:22] Mais ça a été vraiment les discussions, le point de vue des intervenants qui nous a permis de voir, mais comment est-ce qu'on pourrait adapter le recrutement pour éviter qu’il y ait, par exemple, comme un malaise ou que ce soit plus difficile. 

[00:21:37] Et puis c'est vraiment eux qui ont permis d'adapter nos textes parce qu'il y avait du clavardage, et un petit peu le script téléphonique. Et puis, au final, ça a été un succès parce qu'environ une personne sur deux qui était contactée par les intervenants acceptait de participer à l'étude et notre plan initial n'était probablement pas le plan qui avait permis le meilleur. 

[00:22:03] Karine Morin : Ils étaient bien informés de leurs réalités plutôt que de nos perceptions théoriques. 

[00:22:09] Magaly Brodeur : C’est ça. 

[00:22:10] Karine Morin : Avant qu'on passe à autre chose, si vous pouviez vous adresser aux personnes qui nous écoutent aujourd'hui, que ce soit ceux et celles qui font des études en sciences humaines, ceux et celles qui font des études en santé, qu'est-ce que vous leur diriez donc sur l'importance, les avantages d'adopter une approche interdisciplinaire? 

[00:22:28] Magaly Brodeur : Moi ce que je dirais, c'est que c'est extrêmement important. Surtout dans le contexte contemporain où dans nos emplois, autant dans le milieu académique, qu’à l'extérieur du milieu académique, on peut être amené à faire différentes tâches, puis ça peut nous rendre aussi plus polyvalent, mais permettre de comprendre des questions, des problématiques en fonction des différents points de vue.  

[00:22:52] Donc moi, je vois ça comme une comme une force. Mais ce que je dirais avant tout aux gens, surtout aux jeunes, par exemple, qui sont à l'écoute ou plus ou moins jeunes aussi, qui peuvent parfois être dans un retour aux études, comme je l'étais, l'important, c'est d'écouter un peu, d'écouter notre cœur, d'écouter nos intérêts, de vouloir répondre à des questions, de se laisser guider parfois par la vie, nos interrogations, puis de pas essayer de vouloir entrer dans un moule 

[00:23:22] Parce que ça, des fois, c'est ce qu'on peut essayer de faire, mais dans certaines situations, ça peut parfois nous rendre aussi un peu malheureux, parce qu'il y a des choses qui restent encore en suspens, qu'on n'a pas répondu, y a comme un vide qu'on peut ressentir. Donc juste de s'écouter, d'être curieux, et puis je pense que c'est ce qui permet, au final, d'avoir aussi beaucoup de plaisir dans ce qu'on fait, et ça, c'est fondamental. 

[00:23:44] Karine Morin : Je ne veux pas qu'on laisse complètement de côté les politique publique sur les soins de la santé. Vous travaillez des populations vulnérables, celles qui souffrent de dépendance comportementale.  

[00:23:55] Selon vous, quels sont les défis les plus importants que vous avez observés dans votre travail dans votre recherche? Qu'est-ce qui vous préoccupe encore beaucoup pour ces populations-là? 

[00:24:03] Magaly Brodeur : Il y a plusieurs choses qui sont extrêmement préoccupantes pour les personnes qui présentent une dépendance comportementale. Si je débute, c'est par peut être les deux plus importants et que je dirais mais il y en a tellement. 

[00:24:14] La première chose, c'est l'accès aux soins de santé, services sociaux, s'assurer d'avoir une trajectoire qui peut être justement simple et pas compliquée pour les personnes qui présentent une dépendance comportementale. C'est encore quelque chose qui est peu connu.  

[00:24:29] Donc souvent, les gens vont peut-être frapper à différentes portes, puis on ne savait pas comme à prendre en charge la problématique. Donc, ça on l'a vu parfois, des gens qui disent “j'ai appelé à l’aide, mais on a négligé le volet, par exemple, des jeux d’hasard et d’argent, de la dépendance à internet, on a uniquement traité mon trouble anxieux, mon trouble dépressif et sans s'attaquer à ce problématique-là.” 

[00:24:54] Il y a des gens aussi, une de mes étudiantes au doctorat qui travaille sur l'expérience auprès des psychologues, des personnes qui présentent un jeu problématique, il y en a beaucoup qui mentionnent, la psychologue a dit d’emblée : “moi, je connais pas le jeu problématique, donc je peux difficilement vous aider.”  

[00:25:12] Donc c'est parfois difficile de trouver les bonnes ressources. Et puis ce qui est important, c'est qu’il puisse y avoir un peu des chefs d'orchestre comme on voit dans d'autres pathologies, par exemple des cas de cancer ou dans d'autres cas, par exemple, avec des maladies chroniques où est ce qu'il peut avoir des infirmières pivot, des acteurs qui vont jouer un rôle central pour pouvoir vraiment orienter la personne dans le réseau de la santé des services sociaux. 

[00:25:35] Parce qu'il faut savoir, c'est avec plusieurs dépendances comportementales comme je prends l'exemple, par exemple, du trouble lié aux jeux, le jeu problématique, bien, ça vient presque quasiment toujours en comorbidité avec un autre trouble de santé mentale, donc ça, c'est 96 % des gens, et puis il y en a 64 % qui en ont au moins trois concomitants. 

[00:25:54] Donc ça veut dire que c'est des cas complexes qui méritent une prise en charge pluridisciplinaire, donc c'est ce qui va assurer justement une meilleure prise en charge de nos patients, s'assurer aussi de prévenir, réduire les impacts sur leur santé et d'éviter parfois même les situations tragiques comme les suicides, parce qu'on sait qu'il y a beaucoup de suicides qui sont associés aux dépendances comportementales. 

[00:26:14] Et ensuite de ce deuxième élément, on a vu beaucoup, dans les dernières les dernières années, la montée en popularité du jeu en ligne. Donc ça aussi, ça soulève beaucoup d'enjeux parce que ça dépasse les frontières, c'est quelque chose qui est facilement accessible, comme par exemple, au Québec, elles sont illégales ces plateformes, c'est uniquement la plateforme de Loto-Québec qui est qui est légal.  

[00:26:36] Donc la majorité des gens savent pas qu'en allant jouer sur certaines plateformes, et bien c'est illégal, ça vient avec son lot de risques et aussi des pratiques qui ne sont pas nécessairement les meilleures pratiques. Donc ça aussi, c'est quelque chose auquel il faut, sur lequel il faut se pencher, réfléchir en tant que société. 

[00:27:06] Karine Morin : Pour terminer, si on vous offrait un fonds de recherche illimité, quelle serait la grande question que vous aimeriez poser?  

[00:27:13] Magaly Brodeur : Oh, c'est une excellente question. Si mon équipe était là et il serait tous en train de rire parce qu'on a une liste de projets de recherche qu'on aimerait faire, et on rajoute des idées, on continue, donc on en a pour au moins 200 ans de projets de recherche. 

[00:27:34] Mais là présentement, et c'est sûr qu'on a un fort questionnement sur plutôt ce qui se passe chez les jeunes, une montée quand même assez importante de l'intérêt pour les paris sportifs, toutes les plateformes de jeux en ligne, et puis aussi tous les jeux vidéo qui incluent différentes caractéristiques qui peuvent ressembler un peu à des jeux d'hasard et d'argent comme les boîtes à butins qu'on va trouver dans certains jeux vidéo. 

[00:28:02] Donc, je pense qu'il y a quelque chose à faire à pousser aussi chez les jeunes, faut faire attention parce qu'il faut s'intéresser à ces populations-là pour justement prévenir les conséquences qui pourraient arriver, par la suite tout au long de leur parcours, il faut en savoir plus. Ça a changé dans les dernières années, on est plus à l'époque par exemple, où est-ce que le seul contact avec les jeux d'hasard et d'argent était le billet de loterie que grand-maman achetait pour mettre dans la carte d'anniversaire. 

[00:28:31] Là maintenant, on a accès via nos téléphones intelligents, on a accès via nos ordinateurs, c'est plus pareil qu’à une certaine époque où on pouvait juste aller au casino, on ne pouvait pas rentrer si on avait moins de 18 ans. 

[00:28:46] Donc ça a bien changé un peu le contexte. Puis c'est important de s'y attarder. Mais des fonds illimités permettraient de faire des projets incroyables avec beaucoup de collaborateurs. Et puis, en fait, ce que je vous dirais, c'est un autre projet, un projet qui, je crois, serait extrêmement important, c'est vraiment de travailler sur les traitements associés aux dépendances comportementales. 

[00:29:16] Dans le cas du trouble lié aux jeux d'hasard et d'argent, on a beaucoup de données probantes, surtout les traitements qui sont non-pharmacologiques, par exemple, les thérapies, la psychologie. Pour ce qui est du côté pharmacologie, on a des données, mais ce n'est encore très pas concluant.  

[00:29:34] Et puis c'est souvent des études qui ont été réalisées et tout, mais ça prendrait, c'est cela un intérêt plus grand des chercheurs, des fonds aussi plus grand pour pouvoir s'intéresser justement à tout ça, puis essayer de voir quel traitement pourrait aider, parce qu'on sait qu'il y a beaucoup de comorbidité, et puis on sait aussi que certains médicaments qui peuvent causer une dépendance comportementale, qui est un effet secondaire 

[00:29:59] Donc vraiment de mieux comprendre un peu tout ça et puis de pouvoir apporter des solutions pour les personnes joueuses. Mais étant donné que c'est une problématique où c’est un faible pourcentage de la population, des fois il y a un moins grand intérêt. 

[00:30:12] Mais les impacts sont tellement majeurs sur les gens que je pense que c'est une population à laquelle il faut vraiment s'intéresser et essayer de trouver des meilleures solutions pour eux, pour pouvoir s'assurer justement à un rétablissement qui va être durable.  

[00:30:25] Karine Morin : J'entrevois un très beau et long parcours de recherche dans votre carrière avec tout ce que vous avez présenté aujourd'hui. Magaly Brodeur, merci beaucoup d'avoir partagé votre curiosité interdisciplinaire, et merci aussi de vos soins en santé publique.  

[00:30:42] Magaly Brodeur : Merci pour la belle invitation. C'est vraiment super apprécié. 

[00:30:50] Karine Morin : Merci d'avoir écouté le balado Voir Grand, et merci à notre invité Magaly Brodeur. Je remercie également nos amis et partenaires au Conseil des recherches en sciences humaines et la société de production CitedMedia, sans qui ce balado ne serait possible.  

[00:31:08] Vous pouvez retrouver tous les épisodes sur votre plateforme de balado favorite et je vous invite sincèrement à nous laisser savoir ce que vous avez pensé de cet épisode en connectant avec nous sur les médias sociaux. À la prochaine.

Icon of Apple Podcast

Apple Podcast

amazon music logo

Amazon Music

Podcast addict logo

Podcast Addict

iHeartRadio logo

iHeartRadio