Analyse du budget 2025 : Bâtir un avenir solide et inclusif pour la recherche

Le Budget 2025, adopté par vote de confiance le 17 novembre, passe maintenant du stade de proposition à celui de mise en œuvre. Le budget souligne l’investissement continu du gouvernement fédéral dans l’écosystème de recherche du Canada, en mettant l’accent sur le renforcement des compétences, la compétitivité internationale et l’innovation.  

Quel est l’impact de ces mesures sur le rôle des sciences humaines (SH) dans la construction d’un avenir de la recherche axée sur les individus? Dans cette analyse, la Fédération examine comment le soutien continu des conseils de recherche, les nouveaux investissements dans les talents à l’échelle mondiale et dans la jeunesse, ainsi qu’une attention accrue portée à l’intelligence artificielle renforcent les fondements de la recherche et des compétences au Canada.  

Cette analyse identifie également les lacunes du gouvernement fédéral en matière de soutien à la recherche menée par les communautés autochtones et francophones, au libre accès, aux connaissances et la participation équitable à travers les régions et les disciplines, afin que toutes les communautés bénéficient de ces investissements.

Reconnaître le rôle des conseils de recherche du Canada

En 2024, à la suite du Rapport du comité consultatif sur le système fédéral de soutien à la recherche, le gouvernement a annoncé un investissement échelonné de 1,8 milliard de dollars en financement supplémentaire pour les trois organismes sur cinq ans (Budget 2024, p. 196), qui semble rester en vigueur, confirmant ainsi le soutien fédéral à la recherche.

Le Budget 2025 s’appuie sur cette base en réaffirmant le rôle central des conseils de recherche du Canada dans l’avancement des connaissances, de l’innovation et du bien public. Il limite les réductions à 2 %, alors même que de nombreux ministères fédéraux doivent atteindre des cibles d’économies pouvant atteindre 15 % sur trois ans (p. 379).

À mesure que la mesure d’économie de 2 % est mise en œuvre, les réductions doivent être appliquées de manière proportionnelle et transparente, avec des mesures de responsabilisation claires afin d’éviter d’aggraver les inégalités de financement des disciplines. Le CRSH continue de recevoir moins d’un cinquième du financement total des trois organismes, ce qui est nettement inférieur à sa part proportionnelle et limite la capacité du Canada à faire progresser les politiques publiques fondées sur des données probantes et ancrées dans les besoins des personnes et des communautés. Assurer un financement équitable et inclusif entre les trois conseils est essentiel à l’excellence en recherche et au leadership international du Canada. 

Attirer les talents mondiaux et maintenir les atouts du Canada

De nouveaux financements importants destinés à attirer des talents à l’échelle mondiale dans le domaine de la recherche façonneront le paysage de la recherche au Canada dans les années à venir. Le Budget 2025 investit 1,65 milliard de dollars pour attirer les meilleur.e.s chercheur.euse.s internationaux.ales, notamment :

1 milliard de dollars sur 13 ans (à compter de 2025-2026) pour une initiative de chaires de recherche accélérée visant à recruter des chercheur.euse.s internationaux.ales exceptionnel.le.s

  • 400 millions de dollars sur sept ans (à compter de 2025-2026) pour les infrastructures de recherche par l’entremise de la Fondation canadienne pour l’innovation.
  • 133,6 millions de dollars sur trois ans (à compter de 2026-2027) pour soutenir les personnes inscrites au doctorat et les personnes en stage postdoctoral venant de l’international et s’installant au Canada.
  • Jusqu’à 120 millions de dollars étalés sur 12 ans (à compter de 2026-2027) pour aider les universités à recruter des professeur.e.s adjoint.e.s venant de l’international.

Pour maintenir cet élan, il faut accorder une attention égale au renforcement de la base de recherche nationale du Canada, tel qu’initié au budget 2024. Des investissements soutenus dans la communauté de recherche canadienne garantissent que les connaissances sont développées et appliquées dans le contexte social, culturel et linguistique propre au Canada, ce qui renforce la souveraineté en matière de recherche et la rétention des talents.

Parallèlement, il reste essentiel d’assurer un accès équilibré à l’ensemble du système de recherche. Les investissements actuels visant à attirer des talents internationaux profiteront probablement principalement aux plus grandes universités de recherche du Canada. S’assurer que les institutions plus petites et régionales, dont beaucoup sont profondément enracinés dans les communautés, puissent accéder à ces possibilités. Ceci renforcerait le tissu national de la recherche et étendrait les avantages de l’innovation à l’ensemble du Canada.

Au-delà de nouveaux financements pour attirer les talents, le secteur aura également besoin d’une plus grande prévisibilité et de processus rationalisés, notamment pour inciter la communauté étudiante internationale à venir au Canada.  

Récemment, dans le balado Voir Grand, Lisa Brunner, spécialiste des questions migratoires, a fait remarquer que la dépendance financière des universités à l’égard des frais de scolarité des étudiantes et étudiants venant de l’international s’est accrue parallèlement à la baisse des investissements publics, ce qui place injustement ces dernier.ère.s dans une position symbolique de tension économique, malgré leur rôle essentiel dans le système de recherche canadien.

Les étudiantes et étudiants venus de l’étranger contribuent à la diversité des campus, renforcent les réseaux de recherche et poursuivent souvent des études supérieures ou une carrière universitaire ou politique au Canada. Il sera essentiel de coordonner le recrutement des talents et la politique d’immigration afin de maintenir des parcours inclusifs et connectés à l’échelle mondiale, des étudiant.e.s aux chercheur.euse.s, et de garantir que le Canada reste une destination de choix pour l’excellence en matière de recherche. 

Mise en œuvre de l’organisation-cadre de financement de la recherche

Le budget 2025 indique que le gouvernement s’efforcera de mettre en œuvre l’organisme-cadre de recherche annoncée dans le Budget 2024 (p.117). Cette initiative vise à renforcer la coordination et la vision stratégique entre les conseils de recherche du Canada.  

Comme l’indique le mémoire présenté par la Fédération au Comité de coordination de la recherche du Canada lors des consultations sur le nouvel organisme-cadre, le succès de cette initiative dépendra du maintien du leadership, de l’autonomie et de l’équilibre disciplinaire des conseils subventionnaires fédéraux. L’inclusion significative des sciences humaines, l’investissement soutenu dans la recherche menée par des chercheur.euse.s et la promotion continue de l’équité, de la diversité, de l’inclusion, et de la décolonisation seront essentiels pour garantir que la nouvelle organisation renforce et tire parti des atouts de l’écosystème de recherche canadien.

Privilégier des approches centrées sur l’humain en matière d’IA

L’accent continu que le budget met sur l’intelligence artificielle souligne une opportunité et une responsabilité importantes pour le Canada. Alors que les infrastructures et les investissements dans l’IA se poursuivent, il est également crucial pour la sécurité des efforts de recherche canadiens que les sciences humaines fournissent les perspectives éthiques, sociales, environnementales et culturelles nécessaires pour guider leur développement et leur utilisation.  

L’intégration de l’expertise des sciences humaines dans la conception, la gouvernance et la mise en œuvre de l’IA aidera le Canada à jouer un rôle de premier plan dans l’innovation responsable au service des personnes, des communautés et de la démocratie. Le leadership et l’inclusion de diverses communautés dans la recherche et les politiques en matière d’IA sont au cœur des approches centrées sur l’humain qui définissent les études en sciences humaines.

Comme le Budget 2025 souligne l’importance de tirer parti de l’expertise pour comprendre les impacts de l’IA, une part mesurable des investissements dans l’IA doit être consacrée à la recherche en sciences humaines. Cela compléterait le développement technique et garantirait que le leadership du Canada en matière d’IA repose sur la compréhension humaine et la confiance du public. 

Soutenir les jeunes, les étudiant.e.s ainsi que les futur.e.s chercheur.euse.s

Les nouveaux investissements fédéraux dans l’emploi des jeunes et le développement des compétences (p. 194) étendent les opportunités de formation en début de carrière à travers tout le pays, notamment :  

  • 595 millions de dollars sur deux ans, à compter de 2026-2027, pour le programme Emplois d’été Canada.
  • 635 millions de dollars sur trois ans, à compter de 2026-2027, pour le Programme de stages étudiants.
  • 308 millions de dollars sur deux ans, à compter de 2026-2027, pour la Stratégie sur l’emploi et les compétences des jeunes.  

Ces mesures élargissent les opportunités d’expérience professionnelle et de formation au début de carrière à travers le pays. En garantissant un accès équitable aux étudiant.e.s et aux diplômé.e.s en sciences humaines, le Canada pourra exploiter pleinement le potentiel de ces nouveaux investissements dans les talents et mieux préparer les diplômé.e.s à relever des défis sociaux et économiques complexes.

La Fédération prend également note des modifications apportées au Programme de bourses d’études canadiennes (p. 248) qui limiteraient l’admissibilité à la bourse aux étudiant.e.s fréquentant des établissements publics et sans but lucratif au Canada et à l’étranger. Bien que cette mesure renforce la responsabilité et la valeur publique de l’éducation, il est essentiel de maintenir l’accessibilité financière et d’élargir l’accès, en particulier alors que les étudiant.e.s sont confronté.e.s à une hausse des coûts de la vie, du logement et des études.  

Promouvoir la recherche autochtone et francophone

Le budget réaffirme l’engagement du Canada à renforcer « notre sentiment d’identité partagé, ancré dans notre histoire et notre géographie, en protégeant notre culture, notre nature, nos langues officielles et nos valeurs fondamentales. Nous continuerons à bâtir le pays et son économie en étroite collaboration avec les peuples autochtones ». (p. 178).

Afin de respecter cet engagement, il est essentiel de prévoir un financement pluriannuel dédié à la recherche menée par les Autochtones, à la revitalisation des langues et aux initiatives liées au patrimoine culturel. Un tel investissement est nécessaire pour faire progresser la réconciliation, faire respecter les traités et les droits inhérents à l’éducation, renforcer la souveraineté des Autochtones en matière de données et revitaliser les systèmes de connaissances au sein de ce qui est aujourd’hui le Canada.

De même, l’application d’une perspective francophone à tous les efforts fédéraux de modernisation de la recherche, y compris l’organisation-cadre pour le financement de la recherche, contribuerait à garantir l’équité linguistique et à remplir les obligations du Canada en vertu de la Loi sur les langues officielles. Un soutien accru aux chercheur.euse.s francophones, en particulier dans les milieux minoritaires, est essentiel pour maintenir l’écosystème de recherche bilingue et culturellement diversifié du Canada.

Promouvoir un accès libre et équitable à la recherche

Bien que le Budget 2025 ne prévoie pas de mesures spécifiques en matière d’accès libre ou de science ouverte, il reste essentiel d’élargir l’accès équitable à la recherche financée par des fonds publics afin de garantir la transparence et la connectivité mondiale du système de recherche. Investir dans les infrastructures et la publication en libre accès renforcerait la confiance du public, favoriserait la mobilisation des connaissances et assurerait que la recherche financée par les contribuables canadien.ne.s soit accessible à tou.te.s.  

La promotion du libre accès relève également de la souveraineté en matière de recherche. À mesure que l’IA évolue, il sera essentiel de maintenir le contrôle public sur les données et les infrastructures de recherche du Canada. Cela permettra de protéger l’intégrité, l’accessibilité et l’équité dans la création de connaissances. Les 925,6 millions de dollars alloués à une capacité informatique souveraine en matière d’IA pour la recherche publique et privée (p. 108) offrent l’occasion d’intégrer les principes de libre accès, en veillant à ce que les investissements publics dans les infrastructures d’IA soutiennent la recherche d’intérêt public.  

Travailler ensemble pour l’avenir de la recherche au Canada

Les investissements stratégiques en recherche, même en période de restrictions budgétaires, permettent au Canada de faire face aux défis actuels, à se préparer aux défis futurs et à garantir que l’innovation reste ancrée dans les connaissances et les valeurs essentielles des sciences humaines.  

La Fédération continuera de collaborer avec le gouvernement et ses partenaires afin d’assurer que les sciences humaines ont un impact maximal sur les personnes au Canada. Les consultations en cours sur des initiatives telles que l’organisation-cadre de financement de la recherche, le libre accès et les investissements dans l’IA contribueront à garantir une mise en œuvre efficace et équitable de valeurs centrées sur l’humain afin de guider l’innovation.