
Introduction | À propos de l'invité | La recherche de Daniel Conway au Congrès | Transcription | Suivez nous
Introduction
Bienvenue au Congrès en conversation, une série spéciale présentée par le balado Voir Grand et La Conversation Canada, où nous invitons des intervenant.e.s clés du Congrès 2025 à partager leurs recherches et leurs expériences dans le contexte de notre thème Redessinons le vivre-ensemble.
Dans cet épisode, notre hôte Eleni Vlahiotis, rédactrice et éditrice spécialisée dans les médias, les affaires, le travail et la politique canadienne chez La Conversation Canada, est rejointe par le Professeur Daniel Conway. Ensemble, ils examinent de plus près l'essor de l'image de marque de la fierté dans les pays du Nord, les pressions et les contradictions auxquelles sont confrontées les entreprises multinationales dans différents contextes culturels et politiques, et ce que le moment actuel révèle sur les limites et les possibilités de solidarité des entreprises.
À propos de l'invité
Le travail de Daniel Conway se situe à l'intersection des relations internationales féministes, de la sociologie politique et de la théorie queer, et se concentre sur la politique des droits et de l'activisme LGBTQ+. Il a obtenu une bourse de recherche Leverhulme Trust en 2018-2019 pour étudier « La politique mondiale de la fierté : activisme, assimilation et résistance LGBTQ+ », et a mené des recherches comparatives sur le terrain lors d'événements LGBTQ+ Pride en Afrique, en Asie et en Amérique du Nord.
Son prochain ouvrage, intitulé « The Queer Politics of Pride: Global LGBTQ+ Activism and Homocapitalism » (Bloomsbury Academic), est à paraître. Ses travaux antérieurs sur les objecteurs de conscience blancs sud-africains et les militants blancs anti-apartheid ont exploré la manière dont la militarisation était genrée et comment la contestation de ce processus déstabilisait l'État, mais était également soumise à des pressions importantes pour paraître respectable et se conformer à la logique hétéronormative de l'État.
Il a rejoint l'Université de Westminster en septembre 2015 après avoir travaillé comme conférencier à l'Open University et à l'Université de Loughborough. Il a été boursier postdoctoral du Conseil de recherche économique et sociale (ESRC) et conférencier invité à l'Université de Bristol entre 2006 et 2007.
Il a également été chercheur invité à Goldsmiths, à l'Université de Londres, à l'University College London, à l'Université de Bristol et à l'Université du Cap. Il est titulaire d'une licence (avec mention) en histoire et politique de l'Université d'Exeter et d'un master avec mention en relations internationales de l'Université de Bristol. Il a obtenu un doctorat en politique à l'Université Rhodes, en Afrique du Sud.
Il est chercheur associé au Wits Centre for Diversity Studies de l'Université du Witwatersrand.
La recherche de Daniel Conway au Congrès
L'article du Prof. Conway s'intitule « Revisiter la critique queer de la commercialisation de la fierté dans un contexte politique hostile ».
Résumé
L'utilisation du drapeau arc-en-ciel par les entreprises transnationales et de nombreuses entreprises nationales du Nord global à l'occasion du Mois de la fierté est devenue monnaie courante. Cependant, le contrecoup, ou la réaction hostile, contre les droits des personnes LGBTQ+ à travers le monde a mis à l'épreuve la volonté des entreprises de s'associer visiblement aux causes et aux communautés LGBTQ+. Cela a conduit de nombreux militants et universitaires LGBTQ+ à se demander s'il fallait revoir la critique de l'implication des entreprises dans la Pride. Certains se demandent si nous regretterons l'absence de l'arc-en-ciel si celui-ci disparaît, et si le soutien visible des entreprises à la Pride, et par association aux communautés et aux droits LGBTQ+, est désormais important alors que ces droits sont remis en question et restreints, même en Europe et en Amérique du Nord. Cet article explore ces questions importantes et soutient que le « soutien » des entreprises à la Pride et aux communautés et droits LGBTQ+ a toujours été conditionnel et incohérent à travers le temps et l'espace.
[00:00:08] Eleni Vlahiotis : Bienvenue au Congrès en Conversation, une série spéciale présentée par le balado Voir Grand et la Conversation Canada. Dans cette série, nous vous invitons à rencontrer des spécialistes du Congrès 2025 pour qu'ils partagent leurs recherches dans le cadre de notre thème Recadrer l'unité. Je m'appelle Eleni Vlahiotis, je suis rédactrice en chef du secteur des affaires et de l'économie à The Conversation Canada, et je serai votre hôte pour l'épisode d'aujourd'hui de Congress in Conversation.
[00:00:29] Pour cet épisode je suis accompagnée par Daniel Conway et, ensemble, nous examinons de plus près la montée de l'image de marque de la Fierté dans le Nord, les pressions et les contradictions auxquelles les entreprises multinationales sont confrontées dans différents paysages culturels et politiques, et ce que le moment actuel révèle sur les limites et les possibilités de l'allié corporatif.
[00:00:52] Eleni Vlahiotis : Daniel, commençons notre conversation aujourd'hui par votre parcours de recherche. Qu'est-ce qui a suscité votre intérêt pour la relation entre les événements de la Fierté et la solidarité des entreprises?
[00:01:01] Daniel Conway : Je vivais à Brighton, au Royaume-Uni, où se tient l'un des plus grands défilés de la Fierté en Europe et au Royaume-Uni. C'était en 2015, je regardais le défilé des fiertés de Brighton et j'ai vu ce char qui portait sur le côté #ProudtobeaBrightonemployer (#Fierd’êtreunemployédeBrighton / #Fièred’êtreuneemplyéedeBrighton) et il s'agissait d'une société de services financiers.
[00:01:24] Sur le char se trouvaient vraisemblablement des employé.e.s qui portaient des T-shirts, dont l'un affichait #Proudtobeascouser, un terme familier désignant une personne originaire de Liverpool, au Royaume-Uni. Une autre personne portait #ProudtobeScottish et la troisième personne qui avait une barbe rousse portait #Proudtobeging.
[00:01:42] J'ai réfléchi à tout cela et je me suis dit que la signification de la Fierté devenait si large, si anodine et si commercialisée qu'elle n'avait plus rien à voir avec la défense des droits des LGBT. Et puis, évidemment, à cette époque et avant, la Fierté est devenue de plus en plus controversée et critiquée pour être devenue trop commerciale et être une plateforme pour les grandes entreprises. C'est donc cela qui m'a fait réfléchir.
[00:02:10] Eleni Vlahiotis : Mm-hmm. En parlant de la Fierté, nous constatons qu'un certain nombre d'entreprises sponsors se sont retirées de la Fierté cette année, notamment ici à Toronto, Google et Home Depot, et que les initiatives en faveur de la diversité et de l'inclusion sont de plus en plus réduites. Pourquoi pensez-vous que tant d'entreprises se retirent de la Pride en ce moment?
[00:02:25] Daniel Conway : J'ai commencé à faire des recherches sur le projet et j'ai obtenu une bourse Leverhulme Trust pour étudier les événements de la Fierté en dehors de l'Europe et surtout de l'Amérique du Nord. Je suis donc allé en Afrique du Sud, en Asie de l'Est, à Cuba, à la World Pride de New York et à la Mumbai Pride.
[00:02:42] Ce qui m'a vraiment frappé, c'est que les entreprises ont toujours été très promptes à se retirer des territoires où elles pensaient que leurs profits pourraient être menacés si elles semblaient être impliquées dans la défense des droits des LGBT ou dans la Fierté. Ce que nous voyons aujourd'hui est particulièrement visible en Amérique du Nord, mais cette réticence a toujours existé, c'est juste que nous ne l'avons pas tellement remarquée dans le nord du monde.
[00:03:09] Eleni Vlahiotis : Oh, c'est intéressant. Je voudrais prendre un peu de recul et élargir l'angle de la caméra. Pouvez-vous nous faire un bref historique de l'implication des entreprises dans les événements de la Fierté, et nous dire ce que les entreprises voulaient en accédant à ces événements?
[00:03:22] Daniel Conway : Il y a plusieurs façons de répondre à cette question. L'une d'entre elles est que la première parade des fiertés a eu lieu en 1970, pour commémorer le soulèvement ou les émeutes de Stonewall en 1969, et il n'y avait pas de sociétés ou d'entreprises impliquées dans cette première parade des fiertés en 1970 à New York, qui allait de l'auberge Stonewall à Central Park.
[00:03:49] Mais dès 1972, des entreprises ont commencé à participer à la Fierté. Elles ont donc inversé le parcours de la parade new-yorkaise, qui commençait à Central Park et se terminait au Stonewall Inn. À Greenwich Village, il y avait des bars et des stands dans les rues, et cette décision a suscité la controverse à l'époque. Ainsi, dès 1972, les gens commencent à débattre de la question de savoir si les entreprises devraient être impliquées.
[00:04:15] Puis, au cours des années soixante-dix, on assiste à des changements dans les lois sur l'emploi dans de nombreux pays du Nord. Au Royaume-Uni, par exemple, les lois sur l'emploi protègent les droits des femmes et des minorités ethniques, et les entreprises commencent à chercher de plus en plus à attirer des groupes divers.
[00:04:36] Ainsi, aux alentours de 1981, je crois, Absolut Vodka prétend être la première entreprise à marquer ses produits aux couleurs de l'arc-en-ciel avec la bouteille Absolut Pride. Il y a aussi des entreprises comme IBM qui prétendent avoir l'une des premières politiques d'égalité et de diversité, bien que les débuts de cette politique aient été très controversés, comme je l'ai découvert au cours de mes recherches.
[00:05:03] Eleni Vlahiotis : Pouvez-vous nous parler de ces débuts controversés?
[00:05:07] Daniel Conway : Oui. J'étais très intéressé par IBM parce qu'ils sont très importants, ou du moins ils l'étaient, dans le domaine de l'égalité et de la diversité. Lors de la World Pride, par exemple, en 2019 à New York, IBM s'est fait remarquer en étant la première entreprise à mettre en place des politiques qui protègent ses employés LGBT.
[00:05:29] Je suis tombé sur une recherche qui a vraiment exploré comment il est vrai qu'IBM a été l'une des premières entreprises à avoir des politiques d'égalité et de diversité et des normes commerciales éthiques. Mais la raison en est qu'IBM et Kodak opéraient à l'époque de l'apartheid en Afrique du Sud ; elles étaient responsables de la création de l'appareil de sécurité sud-africain, et en particulier du fonctionnement de l'apartheid.
[00:06:02] Par exemple, IBM et Kodak fournissaient le matériel et les logiciels nécessaires à la production des livres de comptes, qui sont à la base du système d'apartheid. Ils ont contacté l'administration Nixon et lui ont dit : Nous subissons des pressions et des protestations de la part de groupes d'activistes qui critiquent notre implication en Afrique du Sud, et nous aimerions élaborer un code de conduite volontaire afin d'éviter les sanctions obligatoires et les boycotts.
[00:06:29] La raison pour laquelle l'entreprise a élaboré l'une des premières politiques de responsabilité sociale était donc d'essayer de prévenir les protestations d'activistes contre ses activités en Afrique du Sud. Les recherches effectuées ont montré que ces codes étaient pleins de contradictions, qu'ils n'ont probablement pas contribué à mettre fin à l'apartheid et qu'en fait, ils ont plutôt divisé le mouvement anti-apartheid international.
[00:06:52] Mais les codes ont été repris par les écoles de commerce et les études commerciales comme de très bonnes idées à adopter par les entreprises, pour définir des normes de comportement volontaires, des codes de conduite éthiques et des méthodes de travail non racistes, non sexistes et, plus tard, non homophobes.
[00:07:12] J'ai donc été très étonné de voir qu'IBM, qui prétend être à l'avant-garde de la défense des LGBT et qui participe aux défilés de la Fierté, avait fait l'historique de ces politiques dans le but de faire des profits dans l'Afrique du Sud de l'apartheid.
[00:07:28] Eleni Vlahiotis : C'est très intéressant. Et bien sûr, aucun de ces alignements d'entreprises avec la Fierté, les droits LGBTQ+ plus largement, n'a été sans conséquences. Qui ou quels types de défenseur.euse.s ont été marginalisé.e.s dans ce processus?
[00:07:42] Daniel Conway : Je pense qu'il y a une réponse très complexe à cette question. Je pense que ce qui sous-tend la participation des entreprises à la Fierté, c'est l'idée qu'il y a un argument commercial à faire valoir en faveur de la défense des LGBT, des personnes LGBT ou des consommateur.trice.s; nous sommes des employé.e.s, et nous sommes essentiellement productifs.ves au sein du capitalisme. Nous devons donc être soutenu.e.s parce que nous sommes productifs.ves.
[00:08:06] Je pense que c'est le premier problème, car bien sûr, certaines personnes ne peuvent pas être productives de cette manière capitaliste, peut-être parce qu'elles se trouvent dans le Sud, qu'elles n'ont pas accès à l'éducation, qu'elles ont un handicap.
[00:08:22] En tant qu'êtres humains, je pense que nous avons tou.te.s des droits inhérents et que nos droits ne devraient pas dépendre de nous. D'être des consommateur.trice.s riches et des employé.e.s productifs.ves. Je pense donc que c'est le premier problème. Et cela signifie que les personnes qui ne sont pas considérées comme productives sont alors marginalisées.
[00:08:40] Eleni Vlahiotis : C'est très intéressant et c'est quelque chose que je vois souvent en tant que rédactrice en chef. J'ai rédigé de nombreux articles dans lesquels les employé.e.s LGBTQ+ sont présenté.e.s comme une chose positive pour l'entreprise parce qu'ils ou elles sont productifs.ves et qu'ils ou elles augmentent les marges bénéficiaires.
[00:08:53] Daniel Conway : Certainement, et dans mes recherches pour mon prochain livre qui s’intitule “Queer Politics of Pride” je m’intéresse à la Fierté en Afrique du Sud et l'Afrique du Sud est bien sûr le pays le plus inégalitaire au monde. Un grand nombre de personnes vivent dans la pauvreté ou disposent de ressources nettement inférieures à celles des personnes les plus riches d'Afrique du Sud, et il est donc terrible de présenter les droits des LGBT en termes de productivité dans ce contexte.
[00:09:21] Eleni Vlahiotis : À propos de l'Afrique du Sud, vos recherches ont porté sur les événements rivaux de la Fierté en Afrique du Sud, qui reflètent les divisions historiques selon les classes raciales et les frontières spatiales. Pouvez-vous nous parler de ces événements rivaux et de ce qu'ils représentent?
[00:09:34] Daniel Conway : En Afrique du Sud, il y a encore beaucoup de choses qui se définissent et de tensions autour de la race, de la classe et de l'espace, à cause de l'héritage de l'apartheid. C'est en Afrique du Sud qu'a eu lieu la première parade de la fierté en Afrique, en 1990. Mais au fur et à mesure des années 90, le centre de Johannesburg est considéré comme trop dangereux.
[00:09:51] La parade de la fierté commence à se déplacer vers le nord de la ville, du centre-ville vers les anciennes [...] banlieues, qui sont bien sûr plus riches. En 2012, des manifestations ont été organisées par des lesbiennes noires et des personnes non conformes au genre qui se sont rendues pour protester contre l'organisation d'une parade de la fierté dans un quartier riche d'un pays où les niveaux de violence, de violence sexiste et de violence homophobe sont élevés, en particulier à l'encontre des lesbiennes noires.
[00:10:42] Il existe en Afrique du Sud un terme très horrible appelé « viols correctifs », qui vise les lesbiennes noires, en particulier dans les townships et les zones rurales. Elles voulaient donc protester contre le fait que la Johannesburg Pride ne soulevait pas ce problème et qu'elle se déroulait dans un quartier riche. L'organisatrice de la Johannesburg Pride de l'époque - dont on peut voir une vidéo sur YouTube - était assise dans sa Mercedes dorée et criait par la fenêtre : « Dégagez de ma route, dégagez de ma route ». Et elle a ajouté : « s'ils ne quittent pas ma route, marchez leur dessus ». Et c'est ce qui s'est passé, des tensions incroyables.
[00:11:17] Et puis il y a la Soweto Pride qui émerge, qui se déroule dans les townships noirs et qui cherche vraiment à soulever le problème de la violence sexiste et homophobe. Elle parle aussi de l'impact de la pauvreté et des inégalités sur la capacité des gens à vivre la vérité de la Constitution sud-africaine, qui protège, sur le papier en tout cas, les droits des LGBT.
[00:11:42] Mais aujourd'hui, la Pride de Johannesburg se déroule à Sandton City, un centre commercial de luxe situé dans le quartier le plus riche d'Afrique. La Johannesburg Pride d'aujourd'hui s'inscrit donc tout à fait dans ce type de célébration du Nord, bien sponsorisée et fréquentée par des célébrités.
[00:11:59] La Soweto Pride a lieu à Soweto et soulève les vrais problèmes qui affectent la majorité des LGBT en Afrique du Sud. En un sens, vous avez donc des Prides rivales dans une même ville, et il y a une histoire similaire à raconter au Cap, malheureusement aussi.
[00:12:17] Eleni Vlahiotis : J'allais demander si ces Fiertés rivales se sont produites ailleurs aussi, et il semble que ce soit le cas.
[00:12:23] Daniel Conway : Oui. J'ai également étudié la Pride à Hong Kong et bien qu'il n'y ait pas de contestation ouverte des différents événements, les différences sociales, économiques et nationales sous-jacentes à Hong Kong se reflètent dans les différents événements de la Pride.
[00:12:42] Vous avez donc, du moins, beaucoup d'événements de diversité d'entreprises, beaucoup de groupes d'entreprises qui participent aux défilés de la Fierté, et aussi des événements moins controversés politiquement. Des événements comme Pink Dot. Il s'agit d'une alternative à la Pride, qui a lieu à Singapour et à Hong Kong.
[00:13:00] Mais à la Pride de Hong Kong, ce sont des activistes locaux, essentiellement cantonais de la classe ouvrière, qui organisent la Pride de Hong Kong, et il arrive que des employé.e.s d'entreprises assistent au défilé, mais ces entreprises hésitent à sponsoriser le défilé de la Pride parce qu'elles le considèrent comme trop politique.
[00:13:22] La Pride de Hong Kong a toujours été associée au mouvement pro-démocratique, et les entreprises sont donc inquiètes à l'idée d'être trop étroitement associées à ces manifestations de la Pride. Nous avons également la Hong Kong Migrants Pride, qui est une manifestation de fierté organisée par des travailleur.euse.s domestiques migrant.e.s originaires pour la plupart des Philippines, d'Indonésie et de Thaïlande, et qui se trouvent à Hong Kong avec des visas différents de ceux des migrant.e.s professionnel.le.s, de sorte qu'ils ou elles n'ont jamais le droit de demander la résidence permanente.
[00:13:53] Ils ou elles peuvent être licencié.e.s parce qu'ils ou elles sont LGBT, ils ou elles doivent vivre au domicile de leur employeur.euse et s'ils ou elles sont licencié.e.s, ils ou elles doivent quitter Hong Kong dans les deux semaines. Il y a donc différents événements de fierté qui s'adressent vraiment à différents mondes et à différentes communautés, et ils ne sont pas toujours conscients l'un de l'autre.
[00:14:10] Eleni Vlahiotis : Ce sont donc des exemples qui montrent que l'implication des entreprises dans la Pride n'est pas contestée par les activistes.
[00:14:16] Daniel Conway : Oui.
[00:14:17] Eleni Vlahiotis : Quelles sont les principales critiques de cette participation des entreprises à la Pride que vous avez vues de la part de ces groupes d'activistes queer?
[00:14:24] Daniel Conway : Je pense qu'il s'agit de plusieurs choses différentes. Comme je l'ai dit, en Afrique du Sud, les activistes Queer affirment que les entreprises ne veulent pas s'engager dans la réalité de la vie de la majorité des LGBT en Afrique du Sud - elles ne veulent pas s'engager dans la réalité de la violence et des meurtres, essentiellement. Ainsi, si les entreprises sont fortement impliquées dans un événement de la Fierté, cet événement de la Fierté va éluder ces questions et se contenter de célébrer.
[00:14:56] Je pense que dans d'autres contextes : à Hong Kong, par exemple, les entreprises, et c'est quelque chose dont je parlerai dans le livre à paraître, l'implication des entreprises dans la Fierté et les cadres de l'égalité et de la diversité sont fondés sur une compréhension très positive, libérale et progressiste de la façon dont les choses changent.
[00:15:23] Elles sont donc toujours présentées en termes très positifs, et une universitaire, Sara Ahmed, écrit sur le visage heureux et souriant de la diversité. Elle parle même du site web de l'entreprise où l'on trouve des personnes diverses ou souriantes,
[00:15:39] Ce n'est pas une coïncidence, et elle dit, vous savez, bien sûr la protestation sociale et les demandes d'émeutes impliquent aussi de la colère, mais il n'y a pas de place pour la colère dans les cadres corporatifs de la diversité et de l'égalité. Il s'agit d'un changement progressif et positif, qui ne peut que se produire. Et bien sûr, les événements de la Fierté peuvent vraiment y contribuer. Si vous organisez une Pride d'entreprise, il est presque certain que vous aurez ce sentiment très positif de célébration que les choses vont s'améliorer.
[00:16:15] Dans tous les contextes, il y aura des groupes qui penseront que ce n'est pas vrai. Ainsi, dans le contexte dont j'ai parlé en Afrique du Sud, à Hong Kong, à Mumbai, qui était un autre de mes sites de terrain, il y avait des activistes queer à Mumbai qui disaient que cet événement de la Fierté ne parlait pas de la communauté Hijra, qui est intersexuée ou trans.
[00:16:39] Ils ne parlent pas de la caste, qui a un impact énorme sur la division sociale en Inde. Ils récompensent également une sorte de nouvelle élite, des activistes locaux très riches et des élites économiques qui se sentent très positifs à l'égard des droits des LGBT en Inde parce qu'ils sont également une élite et qu'ils sont riches.
[00:17:02] Je pense donc qu'il s'agit là d'un contexte différent, dans lequel on trouve différentes formes locales de division. Mais il y a un fil conducteur, si vous voulez, qui est que l'implication des entreprises dans la Pride conduit inévitablement à une vision positive et optimiste de la célébration, selon laquelle les choses vont s'améliorer. Or, les activistes queer, dans de multiples contextes, affirment que les choses ne vont pas s'améliorer simplement parce que nous le disons ou parce que nous pensons qu'elles vont s'améliorer. Nous devons protester pour que les choses changent.
[00:17:37] Eleni Vlahiotis : Oui, et je pense aux recherches que vous avez menées à Shanghai. Pouvez-vous nous parler de ce que vous avez appris sur les manifestations de la Fierté là-bas?
[00:17:44] Daniel Conway : Shanghai est une étude de cas très intéressante parce que la Shanghai Pride existe depuis 10 ans. Lorsque j'y ai assisté en 2019, à Shanghai, comme dans le reste de la Chine continentale, il est illégal d'organiser un défilé public ou une manifestation. Il n'y a donc pas eu de défilé de la Fierté, mais il y a eu une course de la Fierté et une randonnée cycliste de la Fierté.
[00:18:09] Ils considéraient les affaires et les affaires occidentales comme un moyen efficace et relativement sûr d'organiser des événements de la Fierté, et ils considéraient ce type de langage des affaires, que j'ai critiqué précédemment dans cette conversation, comme un moyen pragmatique de s'adresser à l'État chinois et à la société chinoise pour dire : nous sommes des consommateur.trice.s, nous sommes vos collègues de travail, il est logique sur le plan commercial et économique d'accorder plus de droits aux personnes LGBT, d'être plus tolérants, de reconnaître leur existence.
[00:18:48] Ils pensaient que cela leur permettrait d'éviter une sorte de répression gouvernementale qui se produirait, selon eux, s'ils utilisaient un discours axé sur les droits de l'homme. Ils ont donc été très prudents à ce sujet, mais ce qui était vraiment frappant, et je me souviens avoir demandé à l'organisatrice de la Shanghai Pride en 2019, si vous aviez des inquiétudes compte tenu de la dérive de plus en plus autoritaire du gouvernement chinois. Vous inquiétez-vous pour l'avenir de la Shanghai Pride? Elle a répondu que non, qu'elle pensait que leur message avait du sens pour les Chinois.es et le gouvernement chinois et que tout irait bien.
[00:19:28] Mais vraiment, dans les deux années suivantes, tout n’allait pas bien, ils/elles étaient sujet.te.s à une violence policière croissante, un des membres du comité d'organisation, un ressortissant malaisien, a perdu son permis de séjour sans aucune raison. Et en 2021, ils ont pris la décision de suspendre la Shanghai Pride pour une durée indéterminée. Ce que j'en ai retenu, c'est que l'approche commerciale prudente ne fonctionnait pas dans ce contexte.
[00:19:58] Cela m'a vraiment frappé. Par ailleurs, dans toutes les recherches, je n'ai pas trouvé d'exemple où les entreprises se soient exprimées et aient défié l'autorité lorsque les communautés LGBT étaient menacées. La Shanghai Pride a travaillé avec différentes entreprises occidentales, mais ces entreprises n'ont pas soutenu ouvertement la Shanghai Pride en Chine lorsque la répression policière s'est intensifiée.
[00:20:31] Eleni Vlahiotis : Pour clarifier les choses, y a-t-il une différence entre le soutien des entreprises à la Pride en particulier et le soutien des entreprises aux droits et aux initiatives LGBTQ+ de manière plus générale?
[00:20:44] Daniel Conway : C'est une bonne question, et d'une certaine manière, il y a eu récemment, je crois que c'était en 2023, un rapport sur le soutien des entreprises à la défense des droits des LGBT, qui a conclu un certain nombre de choses. Tout d'abord, il est assez difficile d'obtenir des statistiques précises sur les sommes que les entreprises consacrent à la défense des droits des LGBT.
[00:21:12] Il est donc difficile de donner une réponse définitive, mais l'étude a montré qu'il y avait très peu de preuves que les entreprises ou les organisations philanthropiques donnaient la priorité aux droits des LGBT. Ils ont estimé, par exemple, qu'au Royaume-Uni, et bien sûr le Royaume-Uni abrite un grand nombre d'entreprises transnationales.
[00:21:36] Mais au Royaume-Uni, pour chaque centaine de livres dépensées pour la responsabilité sociale des entreprises, seulement six pence de ces 100 livres étaient consacrés à une cause LGBT identifiable. Et ils ont constaté qu'au Royaume-Uni et aux États-Unis, la majorité des dépenses des entreprises pour les causes LGBT, la défense des droits ou quoi que ce soit d'autre, était dépensée à l'intérieur du pays et pour des groupes de personnel.
[00:22:08] Il s'agit donc très probablement d'organiser des événements internes à l'entreprise ou, bien sûr, de participer à une parade de la Fierté et de produire des t-shirts et des logos. C'est donc une réponse assez longue pour dire que lorsque nous regardons les détails et les montants dépensés, nous constatons que les entreprises dépensent très peu d'argent pour les droits des LGBT et que la majorité de cet argent est consacré à la participation à la parade des fiertés.
[00:22:34] Et j’ai aussi observé des compagnies précises, j'ai interrogé des représentants d'Absolut Vodka, par exemple, et je leur ai demandé spécifiquement s'il leur arrivait de soulever des questions relatives aux droits des LGBT dans les territoires où ils opéraient.
[00:22:50] Et ils ont été très clairs sur le fait qu'ils ne le font pas. Ils considèrent cela comme une ingérence inappropriée dans la politique intérieure d'un territoire sur lequel ils opèrent. D'un côté, ils ont la bouteille officielle de la Fierté, vous savez, avec la marque arc-en-ciel, mais de l'autre, s'il s'agit de défendre politiquement les personnes LGBT, ils ne le feront pas. Et je pense que c'est le cas de la plupart des entreprises, voire de toutes.
[00:23:17] Eleni Vlahiotis : C'est donc incroyablement superficiel.
[00:23:19] Daniel Conway : Oui. Oui, c'est vrai.
[00:23:20] Eleni Vlahiotis : Si le soutien des entreprises aux droits des LGBTQ+ n'a jamais été aussi important, comment cela recontextualise-t-il la façon dont nous comprenons ce retrait des entreprises de la Pride?
[00:23:32] Daniel Conway : C'est une très bonne question, et je suppose que c'est insignifiant en termes matériels, mais c'est très important en termes de visuels de la Fierté, si vous voulez. Si l'on pense aux défilés de la Fierté au Canada, en Amérique, en Grande-Bretagne, le soutien des entreprises est très, très visible et les organisateur.trice.s de la Fierté diront qu'ils ont besoin d'argent, en particulier ces Fiertés à grande échelle, ils diront que nous avons besoin d'argent et que nous en avons besoin de la part du monde des affaires.
[00:24:04] Mais je pense qu'il y a plusieurs choses à dire à ce sujet, l'une d'entre elles étant que le retrait visuel des entreprises de la Fierté, je pense que cela peut être une chose positive, cela fera plus de place pour les activistes de base, cela fera plus de place pour que plus de gens participent. Et cela pourrait même amener les organisateur.trice.s à reconfigurer leur façon de concevoir la parade de la Fierté.
[00:24:29] Au lieu d'avoir tous ces permis et d'être régimentés, ils seront peut-être un peu plus ouverts à la participation des gens. D'après mes recherches, d'autres parades de la Fierté dans le monde sont plus ouvertes. Je suis allée à la Pride de Taipei, un défilé de 140 000 personnes, où tout le monde pouvait se joindre au parcours, sans aucune contrainte.
[00:24:51] Je pense que le deuxième changement est que, lorsque les organisateur.trice.s de la Pride disent « oh, c'est tellement cher d'organiser notre événement, nous avons besoin du soutien des entreprises ». Il y a un argument qui dit qu'ils ont pris des décisions qui ont rendu les choses très coûteuses, alors peut-être qu'ils pourraient prendre des décisions différentes qui rendraient les choses moins coûteuses.
[00:25:13] Troisièmement, j'aimerais savoir si les entreprises ont déjà fait des dons importants pour le fonctionnement des événements de la Fierté ou si les événements de la Fierté dans des endroits comme Londres, Sydney et Toronto ont été financés par des entreprises. Je pense qu'ils reçoivent probablement de l'argent du gouvernement local, des participants, dont une partie provient bien sûr des entreprises.
[00:25:37] Mais je pense que d'autres décisions pourraient être prises. Je pense qu'il y aura des entreprises, très probablement des entreprises locales, qui seront prêtes à payer pour faire partie de la parade ou pour tenir un stand de boissons. Je pense donc que mon opinion personnelle, et certainement l'opinion basée sur les recherches que j'ai effectuées, est que nous ne devrions pas être désolés que les entreprises se soient retirées de la Fierté.
[00:26:06] Eleni Vlahiotis : Il semble donc qu'il y ait une lueur d'espoir que les organisateur.trice.s pourraient tirer de cette idée de créer une Fierté dé-commercialisée, mais je pense que pour les organisateur.trice.s du Nord, il peut sembler décourageant d'aller vers l'idée d'une Fierté dé-commercialisée.
[00:26:23] Y a-t-il des exemples ailleurs dans le monde dont les organisateur.trice.s pourraient s'inspirer pour imaginer ce que pourraient être la visibilité et le soutien sans compter sur le parrainage d'entreprises?
[00:26:32] Daniel Conway : Oui, certainement. La Pride de Taipei est un événement de très grande envergure. Je parle de 140 000 personnes en moyenne. Les années précédentes, elle s'est déroulée sur trois routes de la ville. Certaines entreprises sont impliquées, comme la plateforme de mise en relation Grinder, qui avait un char, mais un petit char au début.
[00:26:55] Uber, par exemple, a fourni un transport gratuit pour la Taipei Pride, mais les organisateur.trice.s de la Taipei Pride, qui sont un comité bénévole, ont été très clairs sur le fait que les entreprises ne pouvaient être présentes que sur une certaine partie de l'itinéraire et qu'elles ne pouvaient pas imposer quoi que ce soit d'autre. Ils ont donc organisé un très grand événement sans le soutien d'un grand nombre d'entreprises.
[00:27:19] Je pense aussi que les Fiertés à grande échelle peuvent même s'intéresser à leur propre pays. J'ai pris des vacances en voiture en juin, de Vancouver à San Francisco, et je n'ai cessé de me rendre à des défilés de la Fierté tout au long du trajet. On voit vraiment les différences d'échelle, d'organisation, de Vancouver à des endroits comme Olympia dans l'État de Washington, Portland, Eugene dans l'Oregon, et ensuite San Francisco.
[00:27:52] Je dirais personnellement que les petites manifestations de la Fierté qui sont davantage basées sur la communauté sont beaucoup plus agréables et beaucoup plus significatives. Et même si la San Francisco Pride se retourne et dit que nous avons besoin d'entreprises, je leur réponds que je ne pense pas que ce soit le cas. Ou du moins, il en restera quelques-unes, et celles qui participent encore ont pris la décision de participer de manière significative
[00:28:19] Eleni Vlahiotis : Vous avez déjà beaucoup parlé de vos recherches sur le Sud et l'Est, car vos recherches sur la fierté sont très vastes. Avez-vous remarqué des différences dans la manière dont les événements de la Fierté sont liés au capital dans ces différents contextes?
[00:28:33] Daniel Conway : Je pense qu'en Orient, même après ce qui s'est passé avec la Pride de Shanghai, on a encore tendance à parler des droits des LGBT et de leur tolérance dans les communautés LGBT d'une manière plus commerciale, plus proche du sens des affaires. Il reste à voir si cela va changer à mesure que les sociétés transnationales s'en éloignent.
[00:29:04] J’ai déjà évoqué l’Afrique du Sud, où il existe un groupe appelé The Other Foundation. L'année dernière, ce groupe a publié un rapport intitulé « Size Matters », dans lequel il cherchait à quantifier la valeur des communautés LGBT d'Afrique du Sud pour l'économie.
[00:29:23] Et je constate que même en ce mois de la fierté, si vous voulez, je peux voir sur LinkedIn, je peux voir sur mes courriels, je peux voir des gens qui parlent du sens de l'entreprise. Et actuellement à Londres, il y a un groupe d'événements sous le nom de [...] Work Pride, donc il y a encore des gens qui parlent de ce genre de sens des affaires même si les entreprises se retirent, je pense personnellement qu'il va être de plus en plus difficile de le faire.
[00:29:53] Je pense qu'il sera très intéressant de voir comment la situation évolue dans des contextes comme l'Inde, la Chine, Hong Kong, Singapour, à mesure que les entreprises transnationales réagissent au gouvernement Trump et reviennent sur leurs engagements en matière d'EDI et de fierté du travail.
[00:30:11] Je pense donc qu'à l'heure actuelle, les mêmes dynamiques sont toujours à l'œuvre, mais je dirais qu'à travers le contexte, les activistes queer n'ont cessé de dire : « Si nous voulons la justice sociale, si nous voulons les droits des LGBT, nous devons penser à toutes les façons dont les LGBT sont précarisés », et cela inclut la pauvreté, l'inégalité, et on ne peut pas penser uniquement aux employé.e.s professionnel.le.s des grandes entreprises, à leur vie et à leurs droits.
[00:30:46] Eleni Vlahiotis : Il y a donc une tension permanente entre ceux qui pensent que la Fierté doit rester une manifestation et ceux et celles qui veulent embrasser la nature festive et commerciale de la manifestation. Dans quelle mesure cette tension est-elle présente chez les activistes eux-mêmes, entre les groupes d'activistes?
[00:31:01] Daniel Conway : Je pense que c'est une question intéressante et complexe. Encore une fois, si je parle de l'Afrique du Sud, j'ai parlé tout à l'heure de la Soweto Pride et de la façon dont elle a émergé pour mettre en lumière les problèmes de précarité et de violence auxquels sont confrontées les communautés noires et en particulier les lesbiennes noires dans les townships sud-africains.
[00:31:24] Ils sont aussi très clairement contre les entreprises et critiquent le capitalisme sur la façon dont il alimente les inégalités raciales, économiques et autres en Afrique du Sud, mais ils se battent pour obtenir des financements. Et dans le contexte du Sud en particulier, l'État est soit inexistant, soit peu fiable en tant que bailleur de fonds.
[00:31:50] Ils adoptent donc un point de vue pragmatique. Lorsque je leur ai parlé, ils m'ont dit qu'ils étaient prêts à envisager le parrainage d'entreprises, mais seulement si leurs intentions étaient sincères. Mais comme je le disais, on voit vraiment ce qui sous-tend le désir des entreprises d'évoluer dans le soutien à la Fierté lorsque les militant.e.s de base et les militant.e.s queer cherchent à obtenir le parrainage d'entreprises, parce que les entreprises sont inévitablement réticentes à fournir ce parrainage.
[00:32:27] Parce qu'elles sont plus réticentes à s'impliquer dans quelque chose qui soulève des questions délicates et inconfortables sur la violence, la précarité et la pauvreté. Je ne pense donc pas qu'il y ait nécessairement un fossé entre les groupes de base qui bénéficient du soutien des entreprises. Parce que je pense qu'il y a une sorte de compréhension des circonstances difficiles, mais il y a définitivement un fossé entre les activistes de base et ce que j'appellerais les activistes LGBT d'élite qui ont une très grande envergure, qui sont très bien financés et où les entreprises jouent un rôle de premier plan. Il y a donc bel et bien un fossé entre les deux.
[00:33:13] Eleni Vlahiotis : Et si nous regardons vers l'avenir, comment voyez-vous l'évolution des événements de la Fierté dans le contexte de ce retrait des entreprises sponsors et aussi de cette réaction politique contre les droits des LGBTQ+ en général?
[00:33:13] Daniel Conway : C'est très intéressant. Je pense que nous verrons probablement les événements de la Fierté devenir, pas nécessairement à plus petite échelle, mais ils changeront peut-être en raison des différentes manières dont ils sont financés. Je pense donc qu'il y aura moins d'événements VIP, moins de boissons gratuites, moins de tentes dans les grandes manifestations de la Fierté.
[00:33:52] Elles pourraient devenir plus démocratiques, mais tout dépendra de la manière dont l'État interviendra. Par exemple, je sais que la London Pride est soutenue par le maire de Londres. La police, les autorités locales, le NHS [NDLR : National Health Service] sont impliqués. Je pense qu'il en ira de même dans les différents contextes canadiens.
[00:34:12] Mais aux États-Unis, je pense qu'une dynamique différente se mettra en place. Il se peut que des manifestations de la Fierté qui étaient autrefois de très grande envergure soient obligées de réfléchir à la manière dont elles se déroulent, étant donné qu'elles bénéficient d'un financement limité de la part de l'État et d'une participation limitée, voire inexistante, de la part des entreprises.
[00:34:31] Mais ce qu'ils découvriront peut-être aussi, c'est qu'ils devront se connecter aux groupes de base et de protestation queer, qui ont toujours été actifs. Je pense que cela pourrait donner lieu à des résultats très créatifs. Il y a une chose que j'ai découverte au cours de mes recherches : lorsque j'ai assisté à la World Pride à New York en 2019, la World Pride était manifestement gigantesque. Elle disposait d'un budget de 12 millions de dollars.
[00:34:55] Le défilé a duré neuf heures, jusqu'au petit matin. Mais Reclaim Pride, qui avait été organisée au cours des 12 mois précédents dans des centres communautaires de New York avec différents groupes, d'ACT UP à Black Lives Matter, toutes sortes de groupes impliqués, ne savait pas vraiment combien de personnes avaient participé à la World Pride. Ils ne savaient pas vraiment combien de personnes se présenteraient à leur marche Pride, et en fait, environ 48 000 personnes se sont présentées à leur marche, et j'ai participé à cette marche ainsi qu'à la World Pride Parade.
[00:35:26] C'était un événement à grande échelle, et ils ont fermé, je crois que c'était la Sixième Avenue, et ils avaient un [...] donc ils ont fait descendre 48 000 personnes sur la Sixième Avenue pour symboliser les morts du SIDA et aussi de la violence homophobe et transphobe, c'était un événement incroyablement puissant. L'événement s'est terminé à Central Park, où des discours ont été prononcés et où diverses activités ont eu lieu. Je pense donc que l'on pourrait revenir à ce type d'événement ou le combiner avec les événements plus organisés de la Fierté, et je pense que ce serait une bonne chose.
[00:36:03] Eleni Vlahiotis : Je voulais poser une question, il est peut-être trop tôt pour le faire parce que ce retour de bâton très visible, avec des entreprises qui se retirent de la Pride, vient juste d'avoir lieu. Mais je voulais savoir comment les activistes réimaginent la Pride en réponse à ce retour de bâton.
[00:36:18] Daniel Conway : Je pense que, d'une certaine manière, le mouvement Reclaim Pride a cherché à réimaginer la fierté avant même ce qui s'est passé avec le président Trump. Reclaim Pride était très clair sur le fait qu'il voulait récupérer la Fierté de ce qu'elle était devenue. Ils voulaient récupérer la fierté de l'implication des entreprises, de l'implication de la police, de la simple célébration et du fait qu'il s'agissait simplement de, eh bien, ça va s'améliorer parce que les choses s'améliorent.
[00:36:47] Ils voulaient donc récupérer cet objectif politique et la notion de protestation et de protestation contre toutes sortes d'injustices sociales. En 2019, Reclaim Pride a donc abordé les questions de l'immigration et de l'asile, de l'embourgeoisement et du coût des loyers à New York. Il y avait toutes sortes de messages, mais il s'agissait pour les LGBT de dire : « Eh bien, cela nous affecte aussi, et cela nous affecte de manière particulièrement exigeante ».
[00:37:14] C'est clairement le cas avec l'asile et l'immigration. Je pense que c'est ainsi que les gens veulent réimaginer la Fierté et ne pas éviter la controverse et l'offense. Je n'ai pas abordé le fait que les premiers mouvements de la Fierté ont pour but de récupérer l'identité LGBT, mais aussi la sexualité et le sexe du dégoût et de la honte et de les célébrer.
[00:37:48] Je pense que les défilés de la fierté les plus récents ont pour but d'être familiaux, non offensants, conformes. Je pense qu'il s'agit là de différentes façons de réfléchir à la manière dont la Fierté peut revenir à des questions auxquelles la société dominante a du mal à se confronter ou à réfléchir, mais qui sont toujours importantes et font partie de la vie des LGBTQ+ .
[00:38:15] Eleni Vlahiotis : Cette réimagination a donc déjà eu lieu et nous allons continuer à la voir se dérouler. J'ai une question à propos de la réimagination de la Fierté : s'agit-il d'un mouvement mondial?
[00:38:29] Daniel Conway : D'une certaine manière, on peut dire oui de manière superficielle. Les événements de la Fierté se déroulent dans le monde entier, et de nouveaux événements de la Fierté ont eu lieu régulièrement au cours des 20 dernières années, et ils peuvent se ressembler superficiellement. Bien que j'aie parlé de Shanghai, où cela n'a pas pu se produire de la même manière.
[00:38:55] Mais si l'on creuse un peu, et si l'on réfléchit en termes académiques, la littérature académique sur les mouvements sociaux transnationaux considère que les mouvements transnationaux se répandent à travers le monde, qu'ils communiquent de manière relativement uniforme des idées et des manières de protester et d'être à travers les territoires dans lesquels ils opèrent.
[00:39:18] Et je pense que lorsqu'on regarde la Fierté, il est en fait assez difficile de penser à la Fierté en ces mêmes termes simples. Je me suis rendu à des manifestations de la Fierté en Asie de l'Est, en Asie du Sud, en Afrique du Sud, à Cuba, à New York, et j'ai constaté qu'il y avait parfois très peu de communication entre les différentes manifestations de la Fierté, même au sein d'une même ville ou d'un même pays, et encore moins entre les différents territoires.
[00:39:46] On y trouve donc des conceptions très différentes de ce qu'est la Fierté, de ce qu'elle devrait être. Les gens s'inspirent également de l'histoire locale des manifestations. À Hong Kong, comme je l'ai dit, la Pride s'est inspirée du mouvement pro-démocratique. À Taïwan, elle s'est inspirée du mouvement de protestation des jeunes et du Sunflower Movement, un groupe de jeunes Taïwanais.es qui a occupé le parlement et protesté contre le gouvernement conservateur de l'époque.
[00:40:16] En Afrique du Sud, il s'inspire de la lutte pour la libération, du mouvement des femmes et du mouvement LGBT. On voit donc des compréhensions très locales de ce que devrait être la Fierté. J'aimerais donc critiquer cette notion très figée selon laquelle la Fierté est un mouvement mondial qui s'étend partout, qui se ressemble partout et dont les gens ont la même compréhension de ce qu'il fait.
[00:40:40] Eleni Vlahiotis : Vous parlez dans vos recherches d'une chose qui a été évoquée au cours de cette conversation : l'idée que la réponse à l'implication des entreprises dans la Fierté ne devrait pas être une réponse de gratitude.
[00:40:50] Daniel Conway : Oui.
[00:40:51] Eleni Vlahiotis : Pourquoi?
[00:40:50] Daniel Conway : Je pense qu'il faut se demander quelle est la motivation de cet engagement. Je ne veux jamais critiquer les individus et les employé.e.s d'entreprises qui participent aux événements de la Pride ou qui s'impliquent dans la défense des LGBT, car je comprends et je respecte le fait qu'en tant que personnes LGBT, si nous travaillons dans une institution, nous voulons participer à la Pride, et cela a un sens pour nous, et nous voulons soulever les questions LGBT sur notre lieu de travail. Nous avons tout à fait le droit de le faire, donc je n'ai aucune critique à formuler au niveau individuel.
[00:41:33] Ce que je critique et ce dont je dis que nous ne devrions pas être reconnaissant.e.s, c'est cette implication institutionnelle parce que dans le capitalisme, le capitalisme est basé sur le profit, nous sommes des consommateur.trice.s et des employé.e.s, ou nous sommes des chômeur.euse.s et des personnes précaires, et donc le capitalisme, de mon point de vue, a toujours un niveau d'exploitation.
[00:42:00] Et les entreprises choisissent de s'impliquer dans la Pride parce qu'elles y voient une opportunité, elles y voient une opportunité de lutter contre les nouveaux marchés de consommation, de présenter les entreprises comme un ensemble d'institutions plus amicales, plus tolérantes, plus justes, et là où je suis vraiment critique, c'est quand les entreprises se présentent comme des activistes pour la justice sociale et des activistes pour des changements politiques socialement justes.
[00:42:30] Je pense donc que nous ne devrions pas être reconnaissant.e.s pour ces raisons, car nous devons réfléchir à ce qui motive l'engagement des entreprises.
[00:42:35] Eleni Vlahiotis : Daniel, merci beaucoup de m'avoir parlé aujourd'hui. Cette conversation a été fascinante et très instructive.
[00:42:42] Daniel Conway : Merci beaucoup.
[00:42:57] Eleni Vlahiotis : Merci d'avoir écouté le Congrès en Conversation et merci à mon invité Daniel Conway. Le balado Voir Grand tient à remercier ses amis et partenaires du Conseil de recherches en sciences humaines, dont le soutien a permis la réalisation de ce balado, ainsi que CitedMedia pour son soutien à la production du podcast et La Conversation Canda pour son partenariat.
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