
Introduction | À propos de l'invitée | La recherche de Megan Cotnam-Kappel au Congrès | Transcription | Suivez nous
Introduction
Bienvenue au Congrès en conversation, une série spéciale présentée par le balado Voir Grand et La Conversation Canada, où nous invitons des intervenant.e.s clés du Congrès 2025 à partager leurs recherches et leurs expériences dans le contexte de notre thème Redessinons le vivre-ensemble.
Dans cet épisode, notre hôte Martine Turenne, Rédactrice en chef de La Conversation Canada, est rejointe par la Professeure Megan Cotnam-Kappel. Ensemble, elles abordent le projet VRAenligne, une initiative de la Professeur Cotnam-Kappel qui explore la citoyenneté éthique à l'ère du numérique, en particulier chez les jeunes francophones qui vivent en milieu minoritaire en Ontario et en Alberta. Au coeur de leur discussion, elles vont s'interroger sur le rôle des jeunes dans l'espace numérique et se poser la question : comment perçoivent-ils leur citoyenneté dans un monde digital?
À propos de l'invitée
Megan Cotnam-Kappel est titulaire de la Chaire de recherche sur l’épanouissement numérique des communautés franco-ontariennes et professeure agrégée à la Faculté d’éducation.
Experte en technologies éducatives, ses intérêts de recherche portent sur les littératies et la citoyenneté numériques, le mouvement Bricoleur (Maker) et les particularités de l’enseignement en milieu minoritaire. Elle détient un doctorat de l’Université d’Ottawa et de l’Université de Corse Pascal Paoli. Elle a aussi complété un stage postdoctoral à la Harvard Graduate School of Education.
Franco-ontarienne engagée, elle mène un programme de recherche qui vise le développement des compétences en littératies numériques, notamment la création en ligne et le codage, chez les membres du corps enseignant et les élèves dans le but de réduire la fracture numérique d’utilisation à travers le Canada et en milieu minoritaire en particulier.
La professeure Cotnam-Kappel est membre de l'équipe de recherche CHENINE et aussi du Réseau canadien des écoles ludiques (RCÉL). Elle est co-investigatrice du projet Exploring the Digital Lives of Youth et chercheuse en résidence à INNOVA.
La recherche de Megan Cotnam-Kappel au Congrès
La recherche de la Professeure Cotnam-Kappel s’intitule « Amplifier les voix des jeunes en milieu minoritaire : Citoyenneté éthique à l'ère du numérique en Ontario et en Alberta ».
Résumé
Le projet #VRAenligne est une recherche novatrice qui explore les vécus des jeunes francophones en Ontario et en Alberta sur les réseaux sociaux, leurs conceptions de la citoyenneté éthique en ligne, ainsi que les agirs possibles en tant que citoyens numériques engagés.
Alors que les écoles et les programmes éducatifs intègrent peu, voire pas, la voix des jeunes sur ces enjeux cruciaux, notre projet apporte une perspective unique en recentrant leurs expériences et leurs idées.
De plus, notre démarche méthodologique se distingue par l’intégration d’outils d’intelligence artificielle générative dans la collecte et la création de données, permettant aux jeunes de s’exprimer de manière créative et réflexive.
[00:00:09] Martine Turenne : Bienvenue au Congrès en conversation, une série spéciale présentée par le balado Voir Grand et la Conversation Canada. Nous invitons les chercheurs et les chercheuses qui ont participé au Congrès 2025 à partager leur recherche sur le thème de l'année : Redessinons le vivre ensemble.
[00:00:27] Je m'appelle Martine Turenne, je suis la rédactrice en chef de la Conversation Canada et je serai votre hôtesse pour cet épisode du Congrès en conversation. Dans un monde où les technologies numériques façonnent de plus en plus nos interactions et nos engagements civiques, il devient crucial de comprendre comment les jeunes se positionnent dans cet espace en constante évolution.
[00:00:49] Dans cet épisode, je discute avec la professeure Megan Cotnam-Kappel. On va parler de son projet VRAenligne : c'est une initiative qui explore la citoyenneté éthique à l'ère numérique, en particulier chez les jeunes francophones qui vivent en milieu minoritaire en Ontario et en Alberta.
[00:01:09] Au cœur de la discussion, on va s'interroger sur le rôle des jeunes dans l'espace numérique et se poser la question : comment perçoivent-ils leur citoyenneté dans un monde digital?
[00:01:22] Martine Turenne : Donc Megan, parlez-nous peut être un peu de votre parcours à la fois de chercheure et d'enseignante. Vous avez étudié, vous avez fait votre doctorat à l'université d'Ottawa et aussi en Corse, ce qui est quand même assez fascinant. Expliquez-nous un peu ce cheminement professionnel.
[00:01:38] Megan Cotnam-Kappel : Oui, alors je suis une fière franco-ontarienne, j'ai été scolarisé en Ontario et j'ai déménagé de ma ville Orillia plus dans le centre-sud de la province vers Ottawa pour faire mes études de baccalauréat en éducation. Par la suite, j'ai poursuivi la maîtrise ici à l'Université d'Ottawa.
[00:01:58] Et alors pour mon doctorat, je voulais aller explorer, voir ailleurs, mais j'avais toujours à cœur l'éducation en contexte linguistique minoritaire, donc je voulais aller découvrir un autre contexte minoritaire tout en étudiant en français, bien évidemment, donc c'était un grand plaisir pour moi dans le cadre de mon doctorat, j'ai mené une étude comparative sur les expériences des jeunes dans des écoles en contexte linguistique minoritaire donc en Ontario français et en Corse, où ils ont des écoles bilingues Corse / français.
[00:02:31] Et les expériences de ces jeunes-là, notamment par rapport aux choix d'une école secondaire, pourquoi on poursuit ou non en français, en Ontario et on poursuit ou non en Corse dans ce contexte-là. Donc, c'était très, très riche.
[00:02:45] Et par la suite, après mon doctorat, j'ai eu une bourse postdoctorale pour aller à Harvard University. Et c'est là que j'ai vraiment, de façon plus intensive, étudié les technologies éducatives, mais l'absence de la langue-là m'interpellait parce qu'on a mené des beaux projets, des projets critiques très participatif avec les jeunes et les numériques, et je me disais : et leur langue, elle ajoute quoi? Quels sont les silences qui passent un peu? Donc, quand j'ai été embauchée à l'Université d'Ottawa, j'essaiyais de vraiment faire ses liens-là entre les technologies numériques et la francophonie minoritaire.
[00:03:28] Martine Turenne : Donc on est arrivé comme ça au projet qu'on appelle le projet VRAenligne. Alors pouvez-vous nous en parler un peu, et ce qui vous a vous motivé à lancer ce projet.
[00:03:40] Megan Cotnam-Kappel : Oui avec plaisir. Donc le projet VRAenligne, est compris de trois phases de recherche. Et alors le VRA, c'est vivre, réfléchir, agir en ligne. C'est un projet de recherche financé par le CRSH que je viens tout juste de présenter au dernier Congrès et que je mène en collaboration avec ma collègue Martine Pellerin.
[00:04:07] Ma collègue, Martine, elle, est en Alberta, elle est au campus Saint-Jean et nous avons décidé ensemble de mener un projet comparatif dans deux provinces en Ontario et en Alberta. Et les trois phases vivre, réfléchir, agir, ce sont trois phases de collectes de données que nous menons avec des jeunes, dans des écoles secondaires où on veut avec eux mieux comprendre ce que ça veut dire, être et agir en tant que citoyen éthique à l'ère du numérique.
[00:04:39] Donc, on avait imaginé ce projet-là en trois phases. Le vivre, c'est une collecte de données avec les jeunes où on essaie de mieux comprendre ce qu'ils vivent sur les réseaux sociaux pour partir de leurs expériences. Ensuite le réfléchir, ce sont leurs définitions, leurs réflexions par rapport au concept même, qu'est-ce que ça veut dire pour eux d’être un citoyen éthique sur les réseaux sociaux.
[00:05:06] Et finalement, la troisième phase, agir, nous nous intéressons aux actions concrètes qu'ils posent déjà ou qu'ils proposent qu'on devrait poser en ligne pour agir comme citoyen éthique.
[00:05:19] Martine Turenne : Et quand vous parlez de citoyens éthiques, qu'est-ce que vous entendez exactement concrètement? Qu'est-ce que ça signifie être un citoyen éthique à l'ère du numérique?
[00:05:29] Megan Cotnam-Kappel : Alors pour nous, on voulait signaler particulièrement l'éthique parce que, typiquement, ce qu'on voit dans les écoles, c'est une approche plus comportementale touchant la citoyenneté numérique. Donc souvent, la citoyenneté numérique, c'est un contrat qu’on signe en début d'année et ce sont des affiches dans les écoles pour protéger son mot de passe, ne pas publier des photos inappropriées, respecter l'équipement dans l'école.
[00:06:00] Et alors nommer explicitement l'éthique pour nous, dans cette recherche, on voulait aller chercher les valeurs des jeunes, les dilemmes moraux, les difficultés qu'ils vivent, la responsabilité qu'ils ont, l'esprit critique qu'ils ont.
[00:06:16] Et grâce à cette recherche, on voulait aussi explorer avec eux ce que ça veut dire pour eux, l'éthique par rapport à ce qu'ils vivent sur les réseaux sociaux. Et dans leurs propres mots, ils nous ont raconté que la citoyenneté numérique, typiquement, c'est soi, c'est protéger soi-même, et l'éthique entre, c'est la relation avec l'autre qui entre pour eux.
[00:06:42] C'était très, très riche d'entendre ça de la part des jeunes qui nous expliquaient, mais c'est vrai qu'on n'avait pas nécessairement trop réfléchi à la citoyenneté éthique sur les réseaux sociaux, mais lorsque vous nous posez la question, oui, l'éthique, c'est notre comportement envers l'autre, c'est comment on protège ou non l'autre lors d'une situation difficile, c'est le dialogue avec l'autre.
[00:07:04] Et ce sont ces dimensions-là qu'on voulait un peu plus creuser dans la recherche parce que c'est là où on aimerait voir plus de ressources pédagogiques, plus d'accompagnement pour les enseignants aussi pour encadrer les jeunes qui vivent des situations difficiles. Ils ne savent pas toujours comment s'en sortir.
[00:07:21] Martine Turenne : Parce que le milieu scolaire va axer ses règles sur des trucs assez de base, vous, vous voulez aller vraiment beaucoup plus loin que ça, que ce que le milieu scolaire offre en ce moment.
[00:07:30] Megan Cotnam-Kappel : Oui en ce moment, c'est vraiment une absence dans le curriculum qui fait en sorte que l'école reste vraiment où elle doit être par rapport au curriculum provincial, on aborde les réseaux sociaux, mais toujours d'une façon très pédagogique, et on n'entre pas nécessairement dans l'expérience extrascolaire que les jeunes ont, les difficultés encore une fois, les dilemmes qu'ils vivent.
[00:07:59] Alors la recherche que j'ai fait lors de mon postdoc à Harvard touchait au dialogue en ligne et les difficultés que les jeunes ont à dialoguer en ligne. Lorsqu'un commentaire est problématique, au lieu d'engager, ils ne savent pas quoi faire, par exemple. Et comment ils apprennent, ils apprennent en observant d'autres exemples qui peuvent être positifs ou négatifs et ils apprennent souvent seuls comment naviguer ces situations difficiles.
[00:08:30] En ce moment, ce genre d'activité n'est pas prévue dans le programme cadre, alors les enseignants nous disent on ne voit pas forcément une place pour avoir ces conversations-là, la recherche nous permet de creuser un peu plus loin et de voir.
[00:08:46] Et pour nous, on a développé cette approche de collecte de données en trois phases et les écoles avec qui on a eu la chance de collaborer veulent maintenant s'approprier de cette méthode de collecte de données pour développer une ressource pédagogique, parce que partir de leurs expériences avec le vivre et réfléchir au concept un peu abstrait, qu'est-ce que ça veut dire être un citoyen éthique? Ensuite, poser des actions concrètes. On voit que oui, c'est pertinent pour nous pour la recherche, mais ça peut aussi être fort pertinent en salle de classe comme intervention.
[00:09:19] Martine Turenne : C'est quand même un certain nombre d'années que vous étudiez la question peut être, c'est prématuré de poser la question, mais est-ce que c'est plus difficile aujourd'hui pour les jeunes d'interagir, que ce l'était il y a 10 ou 20 ans, vous diriez?
[00:09:31] Disons que 10 ans, parce qu'effectivement le phénomène est assez récent, est-ce que vous voyez un niveau de difficulté supérieur aujourd'hui plus d'atomisation des jeunes ou est-ce que c'est trop tôt peut être pour le dire.
[00:09:46] Megan Cotnam-Kappel : Je ne sais pas si je peux me prononcer si c'est plus difficile, je pense que chaque génération aura ses propres difficultés par rapport à l'expérience de vouloir vivre et trouver son identité en ligne avec tous les risques et les dangers.
[00:10:05] Mais j'étais quand même très surprise, impressionnée même, par rapport à cette collecte de données comparée à celle d’il y a 10 ans, les jeunes avaient un esprit beaucoup plus critique et comprenaient plus à propos de biais et d'algorithmes plus que peut être les adultes ne le penserait.
[00:10:28] Ils n'avaient pas toujours le mot académique pour expliquer, mais ils nous disaient : “On a rapidement compris que si on aime certains contenus, on va avoir plus de ce contenu”. Alors je ne sais pas si c'est plus facile, mais ils sont plus critiques.
[00:10:42] Martine Turenne : Oui, parce que c'est vrai que c'était moins connu il y a cinq, 10 ans, alors qu'aujourd'hui les jeunes m'ont dit oui, je parle de la Grèce de voyage en Grèce avec un ami ou je fais une recherche, puis je vois des annonces qui vont apparaître.
[00:10:55] Donc c'est vrai que maintenant ils sont très très au courant de ça. Maintenant, évidemment, les choses changent rapidement, notamment avec les outils d'intelligence artificielle, on pense par exemple à ChatGPT, mais il y a plein d'autres outils maintenant qui s'ajoutent quasiment tous les jours. Expliquez-nous comment ces outils sont utilisés par les jeunes que vous que vous côtoyez.
[00:11:16] Megan Cotnam-Kappel : Alors nous, ce qu'on a décidé de faire dans cette recherche, c'est d'intégrer un outil d’IA génératif dans la collecte de données. Et cela était en partenariat avec l'école.
[00:11:28] Ce qu'on avait prévu dans la recherche, c'est qu'on voulait que les jeunes créent des artefacts qui seraient des représentations de ces trois différentes thématiques. Durant la première phase, étant donné qu'on voulait mieux comprendre ce qu'ils vivent sur les réseaux sociaux, on voulait qu'ils créent une artefact numérique qui était une représentation de ce qu'ils vivent en ligne.
[00:11:50] Ils auraient pu créer une affiche numérique plus traditionnelle, mais en conversation avec les conseils scolaires et en réfléchissant par rapport à la place de l’IA générative maintenant, dans leur vie, on a décidé d'utiliser Canva magique qui permet, similairement à ChatGPT, mais en fonction d'une image, de dialoguer avec l'IA générative, de proposer un premier prompt et ensuite l'affiche sort, et le jeune pouvait faire plusieurs itérations avant de décider sur son image.
[00:12:26] Et de soumettre son image à nous, l'équipe de recherche avec toutes les itérations, on pouvait voir tous les différents prompts qu'ils avaient utilisés et à la fin, d’y attacher un titre et dire s'ils étaient satisfaits ou non avec l'image, et pourquoi.
[00:12:41] Donc, pour nous comme chercheuses, c'était fort intéressant parce qu'avec une affiche traditionnelle, j'aurais mis beaucoup plus de poids à analyser l'affiche, le choix de mots, le choix d'images, de couleur, mais je n'aurais pas nécessairement eu les données textuelles que j'ai reçues ici.
[00:12:28] Alors ici, j'ai le texte, je peux voir le jeune qui dit "un garçon dans sa chambre, sur son téléphone cellulaire, entouré de bulles avec des questions” et de voir l'image et ensuite il dit “non, le jeune devrait être triste, par exemple, sur son téléphone”.
[00:13:16] Donc on a des belles données, et ce sont des exemples de leurs vécus sur les réseaux sociaux. Mais l'image comme telle, oui, le jeune l’a ajusté, mais c'est un dialogue, il y a une IA générative qui a choisi l'image, elle est peut-être stéréotypée, donc nous devons aussi être critique par rapport à l'image.
[00:13:33] Donc, ce que nous avons décidé de faire dans cette recherche, c'était à la suite de chaque ronde de collecte, par exemple, on a fait la ronde de collecte sur ce qu'ils vivent en ligne, ils ont créé l'image et nous ont partagé l'image et tous les prompts, lors de la prochaine visite, on commence avec une co-analyse.
[00:13:51] Et on leur a dit voici les images que vous nous avez partagées, voici nos premières interprétations, corrigez-nous, expliquez-nous. Donc je dirais que l'IA générative ici, elle a ajouté quelque chose, mais il fallait toujours retourner vers les auteurs de ces images pour mieux comprendre le sens.
[00:14:10] Martine Turenne : Oui, c'est ça ce dialogue avec le ChatGPT, on entend de plus en plus, bon, que les jeunes se confient à ChatGPT, qu'ils s'en servent comme psychologue, est-ce que ça, c'est quelque chose que vous voyez émerger à mesure dans vos recherches, le fait qu'ils cautionnent à peu près tout maintenant sur ChatGPT : “est-ce que je devrais répondre ça, est-ce que je devrais penser ça, est-ce que je devrais aller là?” Est-ce que ça vous le voyez de plus en plus dans vos recherches?
[00:14:36] Megan Cotnam-Kappel : Dans cette recherche, non. Pour certains, c'était la première fois qu'ils avaient vraiment utilisé un outil de génération d'images et dans les conversations sur la citoyenneté éthique lors de cette collecte de données qui a eu lieu l'année passée, donc 2024 - 2025, on n'avait pas eu énormément de discussion sur la place de l'IA générative.
[00:14:59] Mais cela étant dit, on avait circonscrit la recherche sur les réseaux sociaux. Donc je dirais que dans les conversations sur les réseaux sociaux, il y avait peu de fois qu'on l'avait mentionné.
[00:15:09] Mais, je dirais, encore une fois, juste pour les productions visuelles que nous avons créées avec l’IA générative, ce qui était intéressant, c'était l'élément très symbolique de ce que les jeunes sortaient.
[00:15:23] Donc, on avait un élève, par exemple, qui avait créé l'image d'un ado qui est en chute libre et il avait mis dans les instructions “un ado en chute libre, téléphone à la main, très heureux, qui ne se rend pas compte que son parachute n'est pas ouvert.”
[00:15:41] Et c'est le jeune qui a imaginé ça, c'est le jeune qui avait écrit un peu le script “très heureux, deux secondes avant l'impact” et nous, on avait pris cette image, on avait parlé en groupe classe. C'était très intéressant, plutôt que leur dire est ce que vous aimez ça, les réseaux sociaux, oui ou non, le côté très symbolique...
[00:16:05] Martine Turenne : Est ce qu'il y en a d'autres comme ça qui vous ont surpris ou qui vous ont touchée parmi les images que vous avez vues?
[00:16:12] Megan Cotnam-Kappel : Plus qu'un enfant qui avait fait une représentation de son visage qui était effacé ou très sombre, donc on avait vu ça comme un symbole d'une certaine perte d'identité, alors qu'on imagine que les réseaux sociaux nous permettent de peut-être mieux construire ou mieux nous exprimer.
[00:16:33] On avait vu des masques, parfois un tourbillon sur le visage, et généralement, parce qu'on on leur avait demandé une image qui représente ce qu'ils vivent sur les réseaux sociaux, et la majorité avait un côté sombre, stress, isolant.
[00:16:52] Des belles images, parfois, c'était un jeune qui regardait son téléphone et derrière, il y avait une forêt, arc-en-ciel superbe très magique et qu’il ne pouvait pas le voir derrière lui parce qu'il était sur son téléphone.
[00:17:08] Et, lors de la co-analyse, les enseignants étaient là, la direction de l’école est venue et ils nous ont dit qu'ils ne savaient pas que ce sont les expériences de leurs élèves sur les réseaux sociaux, parce qu'on ne le voit pas en salle de classe, on ne voit pas ce côté-là. Donc c'était frappant pour eux.
[00:17:30] Et une autre raison pour laquelle on a pensé que cette utilisation de l’IA générative permet des conversations critiques, permet d'explorer ces métaphores qui sont profondes et qui viennent des ados qui demandent “un jeune en chute libre”, c'est très créatif et c'est très parlant aussi.
[00:17:50] Martine Turenne : C'est très parlant effectivement sur son état d'esprit de ces jeunes-là. Si on en revient à leur présence sur les réseaux sociaux, à vous, votre recherche, vous vous êtes à un tel stade de votre recherche, quels enseignements principaux pour l'instant, vous en tirerez sur leur présence sur les réseaux sociaux.
[00:18:12] Megan Cotnam-Kappel : Alors nous, ce qu'on voulait faire, c'est partir, cette recherche est vraiment centrée sur la voix des jeunes, donc on est parti de leur vécu, pour par la suite de leur demander qu'est-ce que ça pourrait dire être un citoyen éthique?
[00:18:26] Et la troisième phase, on leur a demandé quelles actions posez vous? Et c'est à partir des actions que nous avons plus de pistes pour réfléchir à ce que ça veut dire, en pratique, être et comment nous, comme adultes, nous pouvons mieux encadrer les jeunes à devenir et agir à titre de citoyens plus éthiques sur les réseaux sociaux.
[00:18:49] Et dans nos analyses, on a regroupé l'ensemble de ces données des jeunes autour de trois composantes. Pour eux, il y avait une composante “être” un citoyen éthique qui sont les émotions, les identités, les attitudes du citoyen. Donc plusieurs nous parlaient d'un plaisir lorsqu'on agit en tant que citoyen éthique, mais aussi les émotions, la tristesse ou l'isolement dont j'ai parlé.
[00:19:19] Le “faire”, les gestes concrets qu'ils nous ont partagés, alors c'était très clair, commenter ou signaler un contenu nuisible, se retirer d'une discussion qui devient toxique. La liste était aussi longue “voici ce qu'on devrait faire” que “ne pas faire” et on leur a demandé leurs recommandations et c'était ne pas faire ceci était aussi important que faire cela.
[00:19:46] Et troisièmement, le “savoir”. Donc cette prise de conscience critique dont certains, lors de la première visite nous ont fait part, d'autres ont reconnu l'importance, et voici la place de l'école aux trois niveaux, évidemment, si on avait plus de place pour parler de leur être, plus de place pour parler du faire, mais le savoir, comprendre la force de ces algorithmes, mieux comprendre la désinformation, comment les réseaux peuvent altérer nos identités et nos expériences.
[00:20:17] C'est là que les jeunes avaient plusieurs idées pour nous, pas toujours d'accord que c'est la place de leurs enseignants d'avoir cette conversation-là, mais en discutant, ils nous ont fait part que ce n'est pas tout le monde qui a eu la chance d'en parler à la maison, ce ne sont pas tous les parents qui savent ce qui se passe en ligne.
[00:20:36] Donc, on leur a posé la question, si ça ne se passe pas à la maison, alors est-ce que l'école a un rôle à jouer, et là, ils comprenaient un peu mieux. Et de commencer plus tôt, donc nous on a voulu faire cette collecte au secondaire parce que les jeunes de cet âge-là ont plus d'expérience, mais ils nous racontaient qu'il aurait fallu avoir cette intervention-là en sixième, cinquième année, plus tôt, avant de devoir vivre les difficultés qu'ils ont vécu à cet âge-là, donc ça, c'est intéressant pour nous aussi.
[00:21:12] Martine Turenne : Oui, c'est très intéressant parce que dans le fond, ce que vous dites, c'est que les écoles, les programmes étaient encore très peu, cette dimension-là, c'est une dimension fondamentale de leur vie. Et puis ça, dans le fond, c'est des lacunes qui persistent et on a beau dire oui, il faut les éduquer, tout ça, ça reste que c'est, c'est embryonnaire encore.
[00:21:32] Megan Cotnam-Kappel : Oui et en discutant avec le personnel enseignant évidemment, comme j'avais manqué, si ce n'est pas un objet explicite du programme de grad, et nous savons que les enseignants sont très occupés et ont énormément de trucs à intégrer, notamment maintenant avec l'IA générative aussi les conversations s'ajoutent et ça ajoute énormément à leur tâche.
[00:21:58] Mais on entend aussi souvent qu'ils ne sont pas suffisamment experts. Donc, souvent le premier réflexe de la part d'une personne enseignante elle va me dire, en ce moment, ce n'est pas dans mon programme cadre et je ne suis pas experte, je ne connais pas suffisamment cette nouvelle plateforme qui est la plus populaire, et on n'a pas nécessairement eu énormément de développement professionnel sur cette question.
[00:22:24] Alors le premier conseil que je leur donne toujours, que ça soit un parent ou un enseignant, c'est qu'ils ont beaucoup à apporter sur comment dialoguer avec une personne qui pense différemment, sur comment gérer ses émotions, sur comment mieux comprendre et développer cet esprit critique par rapport à la place du numérique dans leur vie, quels réseaux ils utilisent et pourquoi? Comment ils font le choix posé de contenu qu'ils partagent ou non? Du processus de réflexion qu'ils peuvent entamer avant de choisir de publier ou non un commentaire, une photo, etc.
[00:23:00] Les adultes ont énormément à contribuer, peu importe s'ils sont experts de la plateforme, ils sont experts des processus de réflexion que nous posons avant ces partages-là et d'être à l'écoute et de leur poser des questions et d'être curieux par rapport à ce qu'ils vivent.
[00:23:22] Ils avaient beaucoup à nous raconter et je n'étais pas un adulte qui avait une place importante dans leur vie, donc je me dis si on a la confiance, alors c'était, c'est un beau point de départ et c'est ce que je partage avec eux.
[00:23:36] Nous pouvons sans doute mieux encadrer le personnel enseignant pour ces discussions-là, mais ils ont déjà et les parents, heureusement. Avec ce projet aussi, c'est déjà une question que nous avons eu du conseil scolaire.
[00:23:52] Les conseils scolaires qui ont participé ont été très réceptifs. Le conseil scolaire en Ontario, avec qui j'ai collaboré, a changé leur plan de citoyenneté éthique à l'ère du numérique. Oui, grâce à cette collaboration avec notre projet, ils ont dit on aimerait intégrer l'éthique de façon explicite dans notre plan, ils ont changé le contrat que les jeunes signent en début d'année pour, justement, souligner cette composante éthique et pour intégrer une discussion avec les parents avant de signer.
[00:24:26] Je ne sais pas si vous avez des enfants qui doivent signer des contrats, mais souvent, c'est une signature sans nécessairement une discussion critique sur la place du numérique dans leur vie. Mais peu importe l'âge, ici on a intégré cette question éthique pour le conseil scolaire.
[00:24:42] Donc on voit déjà des retombées très concrètes et c'est encourageant pour nous comme équipe de recherche, parce qu'on se dit en partant de la voix et des expériences des jeunes, on peut vraiment mieux comprendre comment les encadrer.
[00:24:58] Martine Turenne : Est-ce que les jeunes que vous avez rencontrés ont abordé la question de la violence qu’ils voient sur internet, le contenu sexuellement explicite et tout ça. Est-ce qu'ils vous ont parlé, un peu de l'effet que ça leur fait et pourquoi ils recherchent ce type de contenu? Parce que bon, c'est très, très, très populaire.
[00:25:16] Megan Cotnam-Kappel : Alors, dans le cas de ma collecte de données qui a eu lieu dans une salle de classe, on a eu quelques anecdotes d'expérience que les jeunes ont entendu raconter à propos d'autres élèves dans l'école par rapport à des images sexuelles.
[00:25:30] Mais assez peu de ces exemples-là. Alors que ma collègue en Alberta avait eu plus d'exemples dans sa collecte données où on voulait, dans notre représentation de ce qu'on vivait en ligne, entrer dans les détails de moi, ce que j'ai vécu, c'était de devoir voir des images violentes, etc.
[00:25:53] Généralement, je dirais qu'on n'avait pas ce grain de détails dans la discussion parce qu'on voulait aussi que ça soit un espace où tous pouvaient partager sans raconter leurs propres expériences. Si la collecte avait été individuelle, je pense qu'on aurait eu énormément d'exemples si c'étaient des entrevues individuelles.
[00:26:13] Mais dans ce projet de recherche, on visait beaucoup plus le côté pédagogique, on voulait vivre une expérience de collecte qui pourrait se transformer en expérience pédagogique. Et je pense que la réalité c'est très sensible pour un enseignant d'aborder une question ou les jeunes peuvent se raconter en tant de détail des expériences qui sont vraiment difficiles.
[00:26:32] Donc, je pense que la question demeure comment trouver cet équilibre-là? Parce que si on leur pose une question, ce qu'ils vivent sur les réseaux sociaux, nous devons être prêts pour cette conversation, mais elle n'a pas souvent eu lieu lors d'une collecte parce qu'on était toujours en grand groupe.
[00:26:54] Martine Turenne : Je comprends qu'il y a forcément une forme d'autocensure qui va se faire parce que, bon, il y a des choses dont on ne veut pas discuter en groupe et eux-mêmes sont à l'âge où ils “process” l'information, donc qui ils sont encore à se demander est ce correct est ce pas correct d'où l'importance justement d'avoir l'éthique.
[00:27:14] Vous êtes vraiment une experte aussi de la numérisation dans les communautés minoritaires linguistiques, bien sûr. Les jeunes que vous avez rencontrés sont des jeunes francophones, donc en Ontario et en Alberta. Est-ce qu'il y a une différence, est-ce que leur façon de vivre, sur les réseaux sociaux ou avec ChatGPT est différente de jeunes qui seraient eux dans leur langue maternelle constamment si on veut, parce qu'on sait que beaucoup de choses se passent en anglais sur le web.
[00:27:43] Megan Cotnam-Kappel : Oui, donc, depuis mon entrée en poste ici à l'Université d'Ottawa, quand j'ai dit que j'essaie de rassembler deux champs de recherche, soit les réseaux sociaux et les jeunes, le numérique où plusieurs recherches sont menées en anglais et les chercheurs peuvent aller en grand détail, par exemple, toute une carrière sur comme dialoguer sur Twitter.
[00:28:06] Et mon champ de recherche, la socio-linguistique, l'éducation en milieu minoritaire, je me suis rendu compte qu'il y a très peu de recherches qui se posent justement à la question que vous venez de me poser. Est-ce que l'expérience est différente pour un franco-ontarien sur les réseaux sociaux que pour un francophone au Québec ou quelqu'un en milieu majoritaire.
[00:28:27] Et puis généralement les élèves me disaient en français, ce sont mes communications privées, les discussions étaient très, très riches, mais je devais toujours aller plus loin : “Et quand choisissez-vous si c’est en français ou en anglais?” C'est en anglais, c'est sûr. On avait beaucoup de résistance par rapport à la place du français, dans leur vie publique, sur les réseaux sociaux.
[00:28:51] Ça ne veut pas dire que ça n'existe pas, évidemment, nous avons des francophones en Ontario, dans certains milieux qui sont très fiers et qui vont publier du contenu en français. Mais dans la même façon qu'on dit que nos écoles de langue française ont une double mission, premièrement, éducative et deuxièmement, culturelle et linguistique.
[00:29:10] Je dirais que notre intérêt comme communauté minoritaire, notre intérêt aux réseaux sociaux et à la place du numérique, plus largement dans la vie de nos élèves est double aussi parce qu'il y a, premièrement le côté éducatif, comment les protéger et s'assurer qu'ils vivent des expériences plutôt positives sur les réseaux sociaux.
[00:29:35] Mais deuxièmement, il y a la chance qu'avec un certain encadrement, avec la chance de former plus de communautés d'espace publics qui sont bilingues ou francophones, qu'ils vont développer, peut être cette identité, ce désir de s'afficher comme francophone en ligne.
[00:29:58] C'est un but que nos collègues anglophones n'ont pas, mais qui est très intéressant pour nous. Et c'est la raison pour laquelle ma nouvelle Chaire de recherche, je l'ai centrée sur un nouveau concept, celui de l'épanouissement numérique.
[00:30:12] Martine Turenne : Oui, parlez-nous un peu de ce concept, c'est complètement nouveau, je voulais savoir le terme est ce que vous l'avez créé ou c'est quelque chose [...].
[00:30:21] Megan Cotnam-Kappel : J'ai décidé de créer ce terme-là parce que je me suis dit au-delà d'une acquisition de compétences techniques, au-delà d'un accès à plus de technologies, plus de formation, plus de ressources, j'aimerais imaginer un état ou nos communautés francophones minoritaires utilisent les technologies pour s'y épanouir, pour renforcer notre identité culturelle, pour créer des communautés, des espaces pour nous, pour faire vivre notre langue.
[00:30:52] Et c'est un déplacement de perspective qui est important parce qu'on n'est pas toujours en train de rattraper un autre groupe, c'est une façon d'imaginer que pour nous, un avenir numérique pourrait refléter nos langues et nos cultures et nos valeurs.
[00:31:06] Et c'est la mission de ma Chaire dans plusieurs projets de recherche, [...], ce projet de recherche ici sur la citoyenneté éthique des jeunes, c'est comment, en mieux encadrant ces jeunes-là vont-ils peut-être choisir ces espaces numériques en français grâce à nos interventions qui commencent avec leurs expériences.
[00:31:31] Martine Turenne : En terminant Megan, qu'est-ce que vous espérez que votre recherche change dans la manière dont on éduque à la citoyenneté numérique?
[00:31:40] Megan Cotnam-Kappel : Alors, les changements que nous avons déjà heureusement observé sur le terrain avec le conseil scolaire que j'ai eu le plaisir de collaborer avec sur ce projet, c'est ce que j'aimerais voir à l'échelle de la province et dans d'autres contextes.
[00:31:55] J'aimerais que, de façon stratégique, qu'on s'oriente plus vers cette dimension éthique relationnelle, et comprendre de l'expérience et des voix des jeunes. Une recherche peut devenir désuète dans quelques années, si on sort un guide, voici les 10 astuces ou conseils pour bien encadrer les jeunes.
[00:32:21] Donc l'approche de commencer avec des discussions sur ce qu'ils vivent, de tenir compte de ce qu'ils vivent. J'aimerais aussi plus de formation, on commence évidemment à la formation à l'Université d'Ottawa, mais j'aimerais avoir plus de ressources pour ces adultes-là, non seulement pour les enseignants, mais comme on l'avait dit, pour les parents, pour les membres de la communauté qui sont prêts à avoir cette discussion là en début d'année, en signant le contrat, mais tout au long de l'année dans la voiture, si on s'en va à la patinoire lors du souper de pouvoir poser ces questions-là d'être à l'écoute et de partir de l'expérience de leurs jeunes.
[00:33:07] Et généralement, les méthodologies comme celles qui sont participatives avec les jeunes, elles sont très, très riches, ça prend du temps, évidemment, mais c'est très riche parce qu'on ne part pas de conception d'adultes qui sont parfois un peu trop loin de la réalité des jeunes, on parle vraiment du concret de leurs expériences.
[00:33:24] Martine Turenne : Mais un beau programme, je vous dirais, je vous souhaite vraiment bonne chance parce que c'est vrai que c'est un besoin, évidemment pas juste en Ontario, dans toutes les provinces canadiennes et les professeurs disent la même chose, on n'a pas le temps comment les intégrer, on connaît pas ça.
[00:33:40] Donc oui, c'est assez un très beau programme. Alors Megan, je vous souhaite bonne chance pour la suite. Et puis merci beaucoup pour l'entrevue.
[00:33:48] Megan Cotnam-Kappel : Merci beaucoup, Martine. C'était un plaisir.
[00:34:02] Martine Turenne : Merci d'avoir écouté le Congrès en Conversation, et surtout, merci à mon invitée, Megan Cotnam-Kappel. Alors je remercie également nos amis et partenaires au Conseil de recherche en sciences humaines, la société de production CitedMedia, sans qui ce balado ne serait pas possible, et bien sûr, la Conversation au Canada, notre partenaire pour cette rubrique spéciale.
[00:34:35] Alors vous pouvez retrouver les épisodes précédents du balado Voir Grand sur votre plateforme de balado favorite. Faites-nous savoir ce que vous avez pensé de cet épisode en vous connectant avec nous sur les réseaux sociaux. Alors je vous dis à la prochaine.