L'avortement au Canada est-il un droit acquis?

Balado
27 avril 2023

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Description

Suite au renversement de l'arrêt Roe contre Wade par la Cour suprême des États-Unis l'an dernier et aux récentes interdictions de procédures d'avortement au sud de la frontière, il est légitime de se demander ce que tout cela signifie pour le Canada. 

Gabriel Miller donne la parole à Annie Pilote, doyenne de la Faculté des études supérieures et postdoctorales de l'Université Laval et présidente du Conseil d'administration de la Fédération. Annie est notre animatrice pour cet épisode consacré à la justice reproductive, en conversation avec Marie-Laurence Raby, étudiante au doctorat en histoire à l'Université Laval.

À propos de l'invitée

Headshot of Marie-Laurence Raby

Marie-Laurence Raby a complété son baccalauréat en histoire à l’Université de Sherbrooke avant d’entreprendre un microprogramme de deuxième cycle en étude du genre à l’Université Laval.

Elle est présentement étudiante en doctorat en histoire à l’Université Laval. Elle s’intéresse à l’histoire du militantisme féministe, et plus particulièrement aux luttes en liens avec la santé reproductive des femmes.

Son projet de mémoire porte sur l’adaptation des réseaux féministes d’avortement clandestin aux différentes énoncées normatives de l'État en matière d’avortement entre 1969 et 1989.

Son mémoire de maîtrise porte sur l’organisation féministe de l’avortement au Québec de 1969 à 1988.  

 

 

Marie-Laurence Raby dans les nouvelles

  • Veronika Brandl-Mouton et Marie-Laurence Raby obtiennent une bourse de la Fondation de BAnQ – CHRS  
  • Rendez-vous d’histoire : la conférence sur l’histoire de l’avortement au Québec – Radio-Canada   
  • Les dessous de l’histoire de l’avortement - Le Quotidien

[00:00:00] Gabriel Miller : This episode will be in French. Welcome to the Big Thinking Podcast where we talk to leading researchers about their work on some of the most important and interesting questions of our time. Je m'appelle Gabriel Miller et je suis le président et chef de la direction de la Fédération des sciences humaines. Suite au renversement de l'arrêt Roe contre Wade par la Cour suprême des États-Unis l'an dernier et aux récentes interdictions de procédure d'avortement au sud de la frontière, il est légitime de se demander ce que tout cela signifie pour le Canada.

[00:00:42] Aujourd'hui, je donne la parole à ma collègue et amie Annie Pilote, doyenne de la faculté des études supérieures et postdoctorales de l'Université Laval et présidente du conseil d'administration de la Fédération. Annie est notre animatrice pour cet épisode consacré à la justice reproductive, en conversation avec Marie-Laurence Raby, étudiante au doctorat en histoire à l'Université Laval.

[00:01:13] Je passe maintenant la parole à Annie. 

[00:01:17] Annie Pilote : Bonjour Marie-Laurence, ça me fait plaisir de vous rencontrer aujourd'hui et d'avoir cette discussion avec vous. J'aimerais vous inviter d'abord à vous présenter et nous parler brièvement de votre parcours

[00:01:28] Marie-Laurence Raby : Oui, alors bonjour, merci beaucoup de l'invitation, donc pour mon parcours universitaire en fait, j'ai fait un baccalauréat en histoire à l'Université de Sherbrooke. Ensuite, je suis venue à l'Université Laval pour compléter un microprogramme de deuxième cycle en études de genre et c'est suite à ce microprogramme là que j'ai débuté mon programme de maîtrise, donc en histoire avec, sous la direction d'Aline Charles, professeure à l'Université Laval.

[00:02:00] Et je suis maintenant doctorante, donc toujours sous la direction d'Aline Charles à l'Université Laval, avec une co-direction de Christabelle Sethna à l'Université d'Ottawa. En dehors en fait de mon parcours plus académique, je suis présentement coordonnatrice du pôle violence du réseau québécois en études féministes, qui est en fait un pôle de recherche qui regroupe des chercheuses, des étudiantes et des membres des milieux de pratique qui s'intéressent en fait aux questions des violences envers les femmes.

[00:02:32] Et je suis également présidente du conseil d'administration du centre Femmes d'Aujourd'hui à Québec.

[00:02:36] Annie Pilote : Alors, qu’est-ce qui vous a incité à étudier le militantisme des féministes au Québec dans les années soixante, soixante-dix et quatre-vingt? Qu'est ce qui vous intéresse particulièrement dans ce sujet?

[00:02:47] Marie-Laurence Raby : Oui, alors mon intérêt, en fait pour l'histoire du féminisme au Québec est né je pense de différents éléments dans mon parcours universitaire et militant et en fait bon durant mon baccalauréat en histoire, j'ai assez vite constaté que les femmes étaient peu représentées dans l'histoire et dans l’histoire du Québec particulièrement.

[00:03:07] Et donc de ce constat-là en fait, est né mon désir de contribuer d'une certaine façon à faire cette histoire-là des femmes au Québec. Parallèlement à ça, il faut dire que je me suis aussi impliquée quand même pas mal dans les mouvements étudiants. Et j'ai développé aussi mon militantisme féministe à travers, à travers ses différentes implications-là, et ça aussi, je crois que c'est quelque chose qui est assez à la base de mon intérêt pour les mouvements féministes au Québec, qui sont assez peu étudiés jusqu'à maintenant.

[00:03:44] Et donc c'est un peu la rencontre de tous ces éléments-là de mon parcours qui m'a poussé à vouloir approfondir la recherche sur les mouvements féministes et particulièrement l'avortement. En fait, on constate qu'il y a assez peu de recherches qui ont été faites sur l'avortement au Québec et l'avortement, je crois, comme pour beaucoup de jeunes femmes de ma génération, nous est souvent présenté comme un droit qui est acquis.

[00:04:14] Et donc on entend assez peu parler en fait des luttes qui ont permis d'en arriver là. Et c'est un peu ce que je voulais faire à travers mon mémoire de maîtrise, de mettre en lumière le travail des militantes féministes dans un souci d'un enjeu mémoriel.

[00:04:32] Annie Pilote : Vous poursuivez maintenant vos études au niveau du doctorat, est ce que ce serait trop indiscret de vous demander de nous donner un aperçu des recherches qui s’en viennent pour vous?

[00:04:41] Marie-Laurence Raby : Oui, en fait, ma thèse de doctorat porte sur les mouvements d’auto-santé féministes au Québec. Bon, dans les années à peu près sensiblement pour la même période, donc soixante, soixante-huit jusqu'à jusqu'au début des années quatre-vingt-dix.

[00:04:59] C'est les mouvements d'auto-santé, c'est une critique féministe en fait de l’institution médicale et c'est ces mouvements-là, l'intérêt je pense, pour ces mouvements-là est en pleine émergence. Ils ont quand même été plus étudiés du côté des États-Unis et aussi bon, il y a quand même quelques études également sur ce mouvement-là au Canada.

[00:05:26] Mais c'est comme si le Québec faisait en ce moment-là un peu office bon d'exception à l'échelle nord-américaine. Et donc moi, je veux voir comment est-ce qu'il y a d'abord une organisation féministe de l'auto-santé au Québec et bon, je dirais que oui et comment, en fait, ces groupes-là s'inscrivent dans une toile de fond nord-américaine, avec encore une fois toute cette idée-là de la circulation des idées, des écrits également,

[00:05:58] il y a quand même eu plusieurs publications, on peut penser à l’ouvrage “Our bodies, ourselves” américain qui vient de Boston. Mais comment est-ce que cet ouvrage-là a circulé également jusqu'ici au Québec? Il y a donc voilà, c'est ça, je veux voir un peu tout cet ensemble de circulation et de diffusion des idées qui entourent l'auto-santé.

[00:06:24] Annie Pilote : Alors c’est très prometteur pour la suite. Je serais intéressée à connaître votre manière d'approcher la recherche, que ce soit sur le plan méthodologique, ou dans votre approche générale, pour articuler cette prise de position militante avec la recherche scientifique. Si vous sentez à l'aise d'aborder cette question là, ça m’intéresserait de vous entendre.

[00:06:46] Marie-Laurence Raby : Je ne pense pas que l'approche scientifique et l'approche militante s'opposent nécessairement, je pense qu'elles se complètent. Je pense que tout chercheur ou chercheuse a un positionnement à la base qui transparaît d'une façon ou d'une autre dans ses recherches. Et je pense que la différence, c'est que je m'en réclame d’emblée et je le fais transparaître aussi dans mes recherches.

[00:07:12] Ne serait-ce que par le choix, le choix des sujets que j'étudie, évidemment, j’adopte une posture féministe, donc je cherche à donner la parole aussi aux femmes. Et en ce sens-là, c'est aussi pourquoi j'utilise la méthodologie de l’histoire orale, donc en faisant des entrevues avec des actrices clés de ces mouvements-là.

[00:07:36] Je pense qu'en donnant la parole aux femmes, c'est en soi une approche, une approche féministe. Et je me nourris aussi beaucoup de ce qui se fait en sociologie, donc dans une perspective interdisciplinaire, par exemple en mobilisant des concepts qui vont être développés par d'autres chercheurs dans d'autres disciplines comme l’agentivité, l’empowerment et tout ça. Donc voilà, c'est peut-être un peu mon, mon approche méthodologique. 

[00:08:05] Annie Pilote : Alors le droit à l'avortement est une question évidemment dont on entend de plus en plus parler dans l'actualité. Alors peut-être que on le tient pour acquis, mais on voit de plus en plus que ce n'est pas, ce n’est pas forcément le cas, à chaque question peut revenir à l'actualité et j'aimerais vous entendre sur comment vous jugez que l'activisme autour de ce droit à l'avortement et la justice reproductive a-t-il changé entre la période de l’histoire que vous avez étudiée et la période d’aujourd’hui?

[00:08:37] Marie-Laurence Raby : Oui. Alors en fait, c'est sûr que la période que j'ai étudiée, ça s’ouvre en dix-neuf-cent soixante-neuf avec la réforme du gouvernement fédéral du Bill Omnibus qui va permettre en fait l'avortement thérapeutique, donc lorsque la grossesse va mettre en danger en fait la santé de la mère.

[00:08:55] Et ça se conclut, mon mémoire se conclut en quatre-vingt-huit avec la décriminalisation de l'avortement. Donc c'est une période où l'avortement sur demande est toujours illégal en fait au Canada. Donc il y a vraiment cette distinction là qui est assez importante entre les avortements thérapeutiques et les avortements sur demande, qu'on dit sur demande.

[00:09:18] Les avortements thérapeutiques en fait vont, durant entre soixante-neuf et quatre-vingt-huit, vont être jugés par des comités d'avortements thérapeutiques qui sont composées de trois à cinq médecins qui vont juger en fait au cas par cas quelles grossesses sont effectivement dommageables pour la santé de la mère.

[00:09:37] Et donc [...] ça permet assez peu à assez peu de femmes d'obtenir des avortements. Donc dans ce contexte-là en fait, les groupes féministes vont prendre en charge un peu les services d'avortements qu'elles réclament, donc pour la période, pour les années soixante-dix au Québec, des groupes féministes vont organiser les services de référence pour avortement

[00:09:05] où en fait, elles vont diriger les femmes vers des cliniques privées de médecins qui acceptent de faire des avortements sur demande. Un de leurs plus célèbres collaborateurs est le docteur Henry Morgentaler à qui on doit l'arrêt Morgentaler contre la Reine qui décriminalise l'avortement en quatre-vingt-huit.

[00:10:25] Donc ces services-là en fait, vont permettre aux militantes féministes de diffuser une analyse féministe de cette enjeu-là, vont aussi permettre de mobiliser les femmes et bon toujours en offrant quand même ce service-là qui est alors assez difficile à obtenir et dans des conditions sécuritaires également parce que ça s'inscrit aussi à l'encontre des avortements plus clandestins, des avortements de boucher qui sont faits dans des conditions parfois vraiment déplorables.

[00:11:00] Alors voilà, donc on est passé en fait d'une lutte pour la décriminalisation de l'avortement à une lutte pour l'accessibilité des services et cette lutte pour l'accessibilité des services je pense que c’est une continuité, ça s’enclenche en fait dans les années quatre-vingts.

[00:11:16] Mais aujourd'hui, je pense qu'on est vraiment dans cet enjeu-là de l'accessibilité de l'avortement. C'est peut-être la grande transformation qui a eu entre ces deux, entre hier et aujourd'hui. Peut-être dans les éléments qui persistent aussi pour les mobilisations féministes, pour l'avortement, bah il faut dire que l’avortment c’est un geste qui encore aujourd’hui stigmatisé.

[00:11:42] Et donc je pense que le mouvement féministe doit encore défendre le droit des femmes à choisir en fait de poursuivre ou non une grossesse. Donc il y a quand même un travail pour sortir l'avortement de la marginalité qui se, qui se fait en continu depuis les années soixante-dix.

[00:11:59] Annie Pilote : Alors vous avez étudié l’histoire des luttes liées à la santé reproductive des femmes. Alors quelles sont les leçons tirées de ces luttes-là que nous ne devrions pas répéter aujourd’hui?

[00:12:09] Marie-Laurence Raby : C'est une très bonne question qui pourrait faire l'objet d'un mémoire de maîtrise en soi. Mais en fait, je pense qu'il y a plusieurs enjeux d'accessibilité à l'avortement qui subsistent encore aujourd'hui et qui font directement écho aux problématiques qui étaient soulevées par les mouvements féministes des années soixante-dix et quatre-vingt. Et en fait, ces problématique-là n'ont pas été résolues en entier par la décriminalisation de l'avortement.

[00:12:36] Entre autre bah en fait, selon les données de la Fédération du Québec pour la planification des naissances, il y a une répartition assez inégale des ressources en avortement dans la province. Fait à l'heure actuelle quatre régions administratives du Québec qui ont un seul point de service en avortement, dont, dont la région de la capitale nationale.

[00:12:53] Le fait d'avoir une seule ressource en avortement, ça peut notamment entraîner des délais plus longs des distances aussi plus grandes à parcourir, qui vont s'accompagner bien souvent de frais supplémentaires pour les femmes. Bien sûr, il y a des difficultés supplémentaires aussi pour les femmes qui se retrouvent à l'intersection de plusieurs oppressions dont les femmes autochtones qui vont avoir tendance à pas aller vers des services qui se trouvent dans la communauté, s'il y en a un, pour en fait éviter d'être stigmatisées.

[00:13:22] Donc comme pour tout soin de santé aussi, il faut dire que les femmes autochtones, les femmes racisées, vont se heurter bien souvent au racisme systémique qui est présent. Il faut dire aussi que les ressources en avortement fonctionnent pas non plus de manière uniforme. Il y a certaines ressources qui vont instaurer des barrières, qui compliquent l'accès à l'avortement, par exemple le besoin de se déplacer quatre fois pour obtenir un avortement, donc des fois dans des contextes où il y a des longues distances à parcourir, c’est quatre fois plus de frais et de déplacement encourus.

[00:13:51] Et tout ça pour moi, fait écho à la période historique que j'ai étudiée puisque bon, historiquement, les ressources en avortements ont été d'abord concentrées dans la région de Montréal, fait en jusqu'en soixante-seize même, c'est 97% des avortements qui sont faits au Québec qui sont faits dans la métropole à Montréal.

[00:14:13] Dans les années quatre-vingt, il y a encore des difficultés dans certaines régions, par exemple l'Outaouais contre une seule ressource en avortement et c'est le centre de santé des femmes de l'Outaouais, donc une ressource féministe. On sait aussi que pour cette même période, dans les années quatre-vingt, le centre de santé des femmes de Québec accueille des femmes de tout l'est du Québec, particulièrement des femmes du bas du fleuve.

[00:14:37] Donc c'est pas d'hier en fait que les québécoises ont dû voyager et souvent sur de grandes distances à l'intérieur de la province pour obtenir un avortement. Puis par ailleurs en fait, quand j'entends des choses comme la nécessité de retourner quatre fois dans une ressource pour obtenir un avortement, ça me fait penser à certaines barrières qui ont été instaurées dans les hôpitaux dans les années soixante-dix et quatre-vingt, même si à un degré qui est moindre en fait bon, comme je l’ai expliqué tout à l'heure à partir de soixante-neuf, ces comités de l'avortement thérapeutique qui sont les instances en fait qui décident si les femmes peuvent ou non avoir un avortement légal à l’hôpital.

[00:15:16] Et il n'est pas rare de voir ces comités-là faire directement obstruction à la pratique de l'avortement. Donc soit ils peuvent établir en fait des critères de sélection qui sont restrictifs, par exemple en fonction de l'âge des femmes, ou en permettant seulement des avortements pour des grossesses qui posent un risque physiologique pour la santé de la mère ou soit ces comités peuvent aussi allonger les délais qui mènent à l'interruption de grossesse dans le but en fait que la femme ait dépassé un certain nombre de semaines qui souvent vont fixer comme une limite pour faire un avortement.

[00:15:55] Par exemple, si l'hôpital décide que les pratiques des avortements jusqu'à douze semaines et que la femme fait une demande à dix semaines, ils peuvent étirer les délais pour que quand la demande passe devant le comité de l'avortement thérapeutique, elle est complètement, elle est déjà refusée d'emblée.

[00:16:13] On voit que c'est de cette façon-là de faire obstruction à l'accès à l'avortement est vraiment, est vraiment quand même une continuité dans l'histoire. Et puis je terminerai peut-être en parlant aussi de l'accès aux avortements tardifs qui est difficile au Québec hier comme aujourd'hui. En fait, depuis quatre-vingt, il y a une diminution marquée des avortements de plus de seize semaines de grossesse qui sont fait un peu partout, particulièrement à Montréal.

[00:16:46] Et puis bon, c'est ça dans les années quatre-vingt en fait, il y a seulement les centres hospitaliers de Sherbrooke et Rouyn-Noranda qui vont offrir des avortements de plus de seize semaines et à partir de la deuxième moitié des années quatre-vingt, les avortements tardifs se raréfient encore davantage.

[00:17:02] C'est un phénomène qu'on observe encore aujourd'hui. Avant la pandémie, il faut noter que les Québécoises devaient aller aux États-Unis pour obtenir un avortement de plus de vingt semaines. Les mesures sanitaires ont fait en sorte de forcer en fait un peu la réouverture de certains services, donc à Sherbrooke et à Québec.

[00:17:21] Mais sur l'île de Montréal, il y a encore des difficultés qui persistent et donc bref, je pense qu'il faut souligner les avancées qui sont faites depuis les années soixante-dix et quatre-vingts définitivement. Mais on constate qu'il y a plusieurs des enjeux qui ont été soulignés par les groupes féministes des années soixante-dix et quatre-vingt qui sont encore présents aujourd'hui sous une forme ou une autre.

[00:17:43] Annie Pilote : Alors vos recherches ont porté sur la situation du droit à l'avortement dans le contexte québécois. Hors cet enjeu-là évidemment, traverse les frontières. Nous avons été rivés sur les débats publics aux États-Unis autour du droit et de l'accès à l'avortement dans ce pays. Quelles seraient les implications à votre avis pour le Québec et le Canada dans son ensemble de ce qui se passe au sud de la frontière?

[00:18:10] Marie-Laurence Raby : On voit vraiment que la frontière entre le Canada et les États-Unis et perméable en ce qui a trait à l'avortement. Et en fait, il y a une grande circulation des idées, des gens et des pratiques. Par exemple, tout un volet de mon étude a montré, s'intéressait en fait au voyage pour avortement des Québécoises dans les années soixante-dix.

[00:18:30] Donc il y a eu une période où l'avortement sur demande était beaucoup plus réprimé, connaissait une forme de répression au Québec. Et dans ce contexte, les groupes féministes ont organisé des voyages, notamment vers New York, pour permettre aux Québécoises de continuer à obtenir des avortements malgré la répression.

[00:18:52] Et donc cette circulation-là des gens est quand même assez parlante pour moi en termes, pour réfléchir en fait à cette idée-là de la perméabilité de la frontière canado-américaine. Il faut dire que bon c'est en fait le renversement de l’arrêt Roe versus Wade qu'on a vu en juin dernier aux États-Unis a galvanisé absolument le mouvement anti-choix américain, mais aussi, je crois, canadien, puisqu'il y a des liens quand même assez directs avec le le mouvement anti-choix canadiens et américains. Par exemple, il y a des centres anti-choix qui reçoivent du financement de groupes souvent religieux, qui sont en provenance des États-Unis.

[00:19:39] C'est peut-être quelque chose à quoi on doit porter attention. Par contre, vous l'avez souligné aussi dans la question, mais il y a un point positif qu'il faut souligner, c'est qu'on parle beaucoup plus d'avortement depuis tout ce qui se passe aux États-Unis que ce qu'on faisait avant.

[00:20:00] En fait, je pense que ça va soulever ou renouveler un intérêt pour cet enjeu-là, tant du côté des groupes féministes que du côté du gouvernement québécois, des gouvernements québécois et canadien. C'est un point positif à souligner quand même.

[00:20:17] Annie Pilote : Que pouvez-vous nous dire sur l'organisation transnationale des services d’avortement? 

[00:20:21] Marie-Laurence Raby : Oui. Alors en fait, ce qu'on constate dans les recherches historiques, c'est que, un peu partout et à plusieurs moments, il y a eu une organisation transnationale des services d'avortement par différents groupes féministes.

[00:20:41] Il y a des chercheuses qui l’ont étudié-là pour pour la côte ouest américaine, donc des groupes féministes qui ont mis en place des services de référence, entre, entre San-Francisco, Los-Angeles et le Mexique à une période où l'avortement n'était pas permis aux États-Unis. Ça a aussi été étudié ailleurs au Canada, il y a une chercheuse qui a montré les liens entre la Calgary Birth Control Association et la ville de Seattle, des cliniques d’avortement à Seattle.

[00:21:12] En Europe c'est également un phénomène qui a été largement mis en lumière, entre autres entre, la France et l'Espagne. Puis on sait aussi que même les Canadiennes ont voyagé vers, vers l’Europe, surtout au Royaume-Uni. En fait, au début des années soixante pour obtenir des avortements.

[00:21:32] Il y a eu des voyages aussi qui étaient organisés aussi loin que vers le Japon. Donc c'est un phénomène qui est assez, qui est assez présent. Lorsque l'avortement est interdit à un endroit bah les femmes vont jouer sur les cadres législatifs de différents pays pour réussir à obtenir ce service. Ensuite, c'est une pratique qui est encore en vigueur aujourd'hui.

[00:22:01] Il faut aussi le souligner, il y a plusieurs organisations féministes qui font encore ce genre d'avortement transnationaux. Bon, par exemple, Women on Waves qui pratiquent des avortements en eaux internationales. Il y a plusieurs groupes féministes qui se sont organisés aux États-Unis.

[00:22:28] Mais ça s'est vu également en Pologne avec l'interdiction de l'avortement, pour envoyer en fait des avortements médicamenteux dans, aux endroits où les femmes, où l'avortement est interdit. Il y a une longue, longue, historique et cette pratique est encore présente aujourd'hui et je pense que ce que ça démontre, c'est absolument la détermination des femmes à avorter lorsqu'elles se retrouvent dans des, dans une situation où elles vivent une grossesse non désirée.

[00:22:58] Annie Pilote : Que voyez-vous comme pistes de recherches possible pour, peu importe la discipline en sciences humaines, qui pourraient venir éclairer ce phénomène du droit à l'avortement, soit d'une perspective historique ou dans une perspective beaucoup plus contemporaine. Voyez-vous certaines questions, qui gagnerait actuellement à faire l'objet de recherches

[00:23:18] Marie-Laurence Raby : C'est sûr que pour ce qui est de l'avortement, ça a été assez peu traité, donc j'aurais envie de dire que tout est à faire. Je pense que d'un point de vue historique, moi je, un aspect que je trouve qui vaudrait vraiment la peine d'être exploré, ce serait une perspective plus intersectionnelle sur la question de l'avortement et des mobilisations féministes pour l'avortement.

[00:23:49] Ce qui a été fait plus du côté américain, il y a quand même plusieurs études qui montrent, qui s'intéressent aux mobilisations des femmes afro-américaines sur les questions de justice reproductive. Et au Québec finalement, on en parle assez peu. Il y a plusieurs choses qui expliquent ça, entre autres, les difficultés à avoir des sources, en histoire, on travaille beaucoup avec les archives.

[00:24:14] Dans le cadre de mon mémoire, j'ai fait moi une enquête orale, donc j'ai rencontré des militantes. Mais voilà, je pense qu'il y a plusieurs difficultés qui font en sorte que ces questions-là n'ont pas encore été abordées. Mais je pense que ça serait une avenue tout à fait intéressante et porteuse aussi de voir comment, comment s’articulent en fait ces mobilisations.

[00:24:44] Je pense que je pourrais peut-être conclure sur les formes de recommandations qu'on pourrait faire, sur la question de l'avortement au Québec et au Canada. En fait, bon, je m'appuie sur les revendications de, entre autres la fédération du Québec pour la planification des naissances. Mais je pense que, à l'heure actuelle, il est important de consolider les points de service qui existent et d'améliorer l'offre dans les régions où il y a un seul point de service, ce qui commande en fait un réinvestissement dans le système de santé.

[00:25:22]  Il faudrait, je pense aussi qu'il y a tout un travail à faire du côté des centres pro-choix qui font du soutien aux femmes comme SOS Grossesses qui devraient être mieux visibilisés mieux financés et surtout qu'il en existe seulement trois au Québec et ça ça passe par un financement qui est à la mission plutôt qu’un financement par projets.

[00:25:43] Je pense bon, il pourrait être intéressant aussi de développer une certification pro-choix parce qu'on a vu beaucoup dans l'actualité récente que il y a énormément de centres qui se disent vouloir aider les femmes qui vivent des grossesses non désirées et qui finalement sont des centres anti-choix et donc une certaine forme de certification pro-choix pourrait permettre de guider les femmes vers bonnes ressources.

[00:26:11] Et je pense aussi que, en fait, tout comme la Fédération du Québec pour la planification des naissances le souligne, il faut réfléchir à la situation des personnes qui ne sont pas couvertes par la régie de l'assurance maladie du Québec pour rendre l'avortement réellement accessible à toutes, puisque les frais qui sont encourus par ces personnes peuvent peuvent parfois atteindre des montants vraiment pharamineux.

[00:26:34] Donc voilà ce qui je pense que c'est les enjeux qui attendent peut-être une certaine attention de la part des gouvernements aujourd'hui.

[00:26:48] Gabriel Miller : Merci d'avoir écouté le balado Voir Grand, à notre invitée Marie-Laurence Raby, étudiante au doctorat en histoire à l'Université Laval, et à notre animatrice Annie, doyenne de la faculté des études supérieures et postdoctorales de l'Université Laval et présidente du conseil d'administration de la Fédération.

[00:27:11] Je tiens également à remercier nos amis du Conseil de recherches en sciences humaines dont le soutien rend possible la réalisation de ce balado. Enfin, je remercie CitedMedia pour son soutien à la production du balado Voir Grand. Suivez-nous pour de nouveaux épisodes sur Spotify, Apple Podcast et Google Podcast. À la prochaine!
 

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