Montréal vu par un immigrant juif du début du 20e siècle

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2 mai 2014


Par Daniel Drolet


Pendant 50 ans, au début du 20e siècle, le yiddish a été la troisième langue en importance à Montréal après le français et l’anglais.

Un nouveau livre du professeur Pierre Anctil de l’Université d’Ottawa fait découvrir l’œuvre de Jacob-Isaac Segal, un poète montréalais de l’époque qui n’a écrit qu’en yiddish.

Selon M. Anctil, qui vient de recevoir le Prix du Canada 2014 en sciences humaines de la Fédération des sciences humaines pour son livre, on découvre chez ce poète une littérature très montréalaise qui offre quelque chose de rare : le regard d’un immigrant du début du 20e siècle sur la société montréalaise.

Segal, né en Ukraine en 1896 et de langue maternelle yiddish, arrive à Montréal en 1910. Il y passe sa vie. Il trouve du travail dans l’industrie du vêtement, où il est possible de travailler en ne parlant que le yiddish, et se met à la poésie pendant ses heures de loisir.

Un succès dans son milieu, il laisse un formidable héritage de 12 recueils et environ 5000 poèmes à sa mort en 1954.

Ce qui frappe, selon M. Anctil, c’est que contrairement à d’autres auteurs immigrants qui écrivaient pour exprimer leur mal du pays, Segal s’est inspiré de son milieu.

À une époque où dans la littérature francophone Montréal était une place d’oppression, Segal offre une toute autre perspective. Ses poèmes parlent des clochers, des parcs et des quartiers de Montréal, et comme dans les littératures des francophones et des anglophones, l’hiver est un thème qu’il aborde.

Il s’agit, selon M. Anctil, d’un transfert culturel très important pour un immigrant.

Les Canadiens, poursuit-il, auraient intérêt à mieux connaître les littératures écrites au Canada dans des langues autres que le français et l’anglais, car elles existent et elles font partie de notre patrimoine.

« Il faut comprendre que d’autres ont écrit qui n’étaient ni francophones, ni anglophones, qui ont laissé une importante contribution, affirme M. Anctil. Il n’y a pas que le yiddish, il y a l’allemand, l’ukrainien, le polonais, entre autres. Il faut avoir l’ouverture d’esprit pour dire que oui, il y a eu des immigrants auteurs qui ont écrit dans des langues non officielles.

« Nous avons commencé à inclure des écrivains comme Mordecai Richler, qui écrivait en anglais, dans l’histoire littéraire du Québec. Je voulais faire voir que d’autres avant lui ont écrit en yiddish.

« Nous ne sommes plus dans un monde où il n’y a que le français et l’anglais; nous devons voir plus large ».

La communauté juive importante de Montréal a été la première rencontre entre les francophones et ce que M. Anctil appelle « l’altérité », c’est-à-dire une culture qui n’est ni francophone, ni anglophone.

La croissance en importance de cette communauté représentait selon lui un changement de paradigme et le début du monde pluriculturel moderne.

« Mon livre témoigne du fait que la diversité marche, et que notre société québécoise en est plus riche ».

Pierre Anctil, membre de la Société royale du Canada, est professeur titulaire au Département d’histoire de l’Université d’Ottawa. Jacob-Isaac Segal, 1896-1954 : Un poète yiddish de Montréal et son milieu, est publié par Les presses de l’Université Laval.