L’influence de certaines familles importantes toujours présente au Québec

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8 avril 2016
Auteur(s) :
Brian Young, Professor Emeritus of History, McGill University

L’élite sociale du Québec a pu imposer ses valeurs à la société québécoise au point où même aujourd’hui les espaces publics comme les églises, les cimetières et les parcs influencent notre comportement, affirme un historien de l’Université McGill.

Brian Young est l’auteur de Patrician Families and the Making of Quebec: The Taschereaus and McCords, qui vient de remporter le Prix du Canada 2016 en sciences humaines décerné par la Fédération des sciences humaines. Le livre trace l’histoire de deux grandes familles bourgeoises sur une période de 150 ans, de 1780 à 1930 environ.

Les Taschereau sont francophones et catholiques; les McCord anglophones et protestants. Le cheminement des deux familles se ressemble : Grands propriétaires terriens, ils se servent de leurs terres pour s’enrichir et devenir influents, et veillent à ce que chaque génération retienne et étende son influence.

Les Taschereau en particulier ont connu beaucoup de succès. Ils ont produit trois juges de la Cour suprême du Canada, un premier ministre du Québec et un cardinal, et la famille continue d’exister.

Les McCord, qui ont donné leur nom au Musée McCord à Montréal, n’existent plus aujourd’hui. Leur influence au 19e siècle tient surtout du fait qu’ils possédaient des terres importantes près du canal Lachine. Ce quarter, appelé Fief Nazareth puis Griffintown, est devenue le premier quartier industriel de Montréal.

Le livre raconte la vie de quatre chefs de chaque famille.

Bien qu’elles soient de langue et de culture différente, les deux familles ont des buts très semblables et fonctionnent à peu près de la même façon, explique M. Young. « Elles réfléchissent beaucoup à ce que va faire la prochaine génération, et elles s’assurent de bien les préparer. Ces deux familles n’étaient pas immensément riches, mais elles ont réussi à faire valoir leur influence ».

Elles ont travaillé fort pour imposer leurs valeurs, et ainsi ont contribué à façonner le Québec et le Canada. Les deux familles étaient troublées par le républicanisme, l’égalitarisme, la démocratie, l’individualisme et le sécularisme. L’archevêque Elzéar-Alexandre Taschereau, par exemple, encourageait le capitalisme et a utilisé son pouvoir pour bloquer le développement du syndicalisme dans la région.

M. Young affirme que l’influence des Taschereau et des McCord se fait encore sentir aujourd’hui dans notre façon de concevoir les paysages, les espaces publics et l’architecture.

Les McCord ont été très impliqués au niveau de l’architecture et de la construction d’églises, de palais de justice, de marchés publics, de cimetières, de bibliothèques et d’orphelinats. Par le fait même, ils ont contribué, avec d’autres familles importantes, à définir ce que nous considérons comme ‘normal’ pour ces institutions.

John Samuel McCord (1801-1865), en plus d’être un grand propriétaire terrien, était habile en dessin technique. Et en plus de s’intéresser de près à la construction des bâtiments sur ses terres, il a créé lui-même des dessins techniques pour le nouveau palais de justice de Montréal. Éventuellement, le domaine familial de style néoclassique a servi de modèle pour l’élite anglophone qui prenait ses quartiers sur les flancs du Mont-Royal.


« L’architecture publique influence le comportement », affirme M. Young. Il explique qu’en influençant la façon de concevoir et de construire les espaces publics, les élites ont pu imposer leurs valeurs et même des normes de comportement sur des villes en croissance comme Montréal – tout comme les centres d’achat influencent notre comportement d’aujourd’hui. « Quand on se promène dans un parc, on reçoit des messages culturels importants », dit-il.

L’influence de ces familles était d’autant plus importante qu’elle s’est fait sentir pendant plusieurs décennies. Parfois, explique M. Young, il est plus facile de comprendre l’histoire quand on peut suivre une piste pendant plusieurs générations. Ce n’est pas nécessairement le premier venu qui a le plus d’impact, dit-il. Il faut parfois regarder vers ceux et celles qui perdurent, ou les familles qui se mettent en place dès le départ et travaillent de génération en génération.

Brian Young est professeur émérite en histoire à l’Université McGill. Son livre, Patrician Families and the Making of Quebec: The Taschereaus and McCords, est publié par McGill-Queen’s University Press.