Des crimes qui en disent long sur notre société

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12 avril 2018

Qu’ont en commun « la Corriveau », le « docteur l’Indienne » et les « brigands du Cap-Rouge »? Ils ont tous été consacrés criminels célèbres et ont nourri l’imaginaire social du Québec du 19e et 20e siècle.


Publié par Les Presses de l’Université de Montréal, le livre La communauté du dehors. Imaginaire social et crimes célèbres au Québec (XIXe – XXe siècle) d’Alex Gagnon, stagiaire postdoctoral à l’Université du Québec à Montréal, explique comment ces crimes considérés célèbres ont contribué à l’imaginaire social du Québec ainsi que le rôle de ce dernier dans la société québécoise.

Déjà primé à quatre reprises depuis sa publication en 2016, le livre de M. Gagnon s’est également attiré les faveurs du jury du Prix du Canada en sciences humaines et sociales 2018.

Cherchant à déterminer ce qui fait tenir une société ensemble, M. Gagnon a trouvé que c’est plutôt un élément négatif que positif qui rassemble les individus. « Ce n’est pas nécessairement un ensemble de valeurs communes, mais ce contre quoi le groupe va s’indigner qui les réunit. » Ainsi, l’analyse des seuils de tolérance des individus pour comprendre ce contre quoi les sociétés se sont prononcées prend tout son sens.

Pour M. Gagnon, la meilleure façon de comprendre une société est d’identifier ce que celle-ci rejette dans une sorte de dehors moral. « La figure par excellence de cette extériorité, je l’ai trouvé dans les crimes célèbres, explique-t-il. Le crime force une société à exprimer ouvertement ses peurs, ses sensibilités et ses seuils de tolérance, choses qu’en temps normal, elle n’exprime pas au grand jour. »

Pour qu’un crime devienne célèbre, il doit marquer fortement les esprits et en venir à s’imposer dans l’espace public sans nécessairement le monopoliser. Dans le cas des crimes étudiés par M. Gagnon, ils ont tous quitté, à un moment ou à un autre, la rubrique des faits divers pour se tailler une place dans diverses œuvres de fiction.

Largement dépendant des moyens de communication et médiatiques modernes, le phénomène par lequel un certain nombre de crimes s’imposent dans la mémoire collective commencent au 18e siècle, mais prend de l’ampleur au 19e siècle.

Si l’imaginaire est plus souvent qu’autrement relégué dans la colonne des choses abstraites qui n’ont pas d’existence concrète, l’étude des crimes célèbres démontre tout le contraire, il joue un rôle fondamental dans l’histoire. « L’imaginaire nous accompagne au quotidien. Une société ne peut pas vivre sans imaginaire, c’est ce qui lui permet de donner sens au monde dans lequel elle évolue, et ça, c’est très concret. »

Bien que l’imaginaire social des sociétés continue de se nourrir des divers crimes, et du même coup d’indiquer quelles sont les limites de celles-ci, il varie aussi en fonction des époques. « Les crimes du 19e siècle qui ont marqué la société québécoise de l’époque nous laisseraient peut-être indifférent aujourd’hui pour des raisons qui sont relatives aux différences entre l’imaginaire de l’époque et l’imaginaire qui est le notre aujourd’hui », affirme M. Gagnon.

Ainsi, quoique ayant jadis marqué les esprits, les crimes du passé cèdent aujourd’hui leur place à d’autres pour alimenter l’imaginaire social québécois, qui à leur tour sont appelés à se renouveler au fil du temps. 


Alex Gagnon est stagiaire postdoctoral à l’Université du Québec à Montréal. La communauté du dehors. Imaginaire social et crimes célèbres au Québec (XIXe – XXe siècle) est publié par Les Presses de l’Université de Montréal.