Redéfinir notre relation avec la terre : le leadership autochtone en faveur de la justice climatique
Par Mahmoud Shabeeb
Cette causerie, animée par Kay-Ann Williams du Collège George Brown, a réuni deux éminentes militantes et universitaires des Premières Nations : Eriel Tchekwie Deranger et Melina Laboucan-Massimo. Leur conversation a permis de mieux comprendre comment le leadership autochtone remodèle les réponses mondiales et locales à la crise climatique, même si celui-ci est encore loin d'avoir atteint son plein potentiel, et comment les systèmes de connaissances autochtones remettent en question les paradigmes dominants de la gouvernance environnementale.
Repenser les relations entre l'homme et la nature
Eriel Tchekwie Deranger, membre de la Première Nation Athabasca Chipewyan et directrice générale de Indigenous Climate Action, a souligné l'importance de faire la distinction entre les « communautés locales » et les peuples autochtones dans la politique climatique internationale. « Les peuples autochtones détiennent des droits uniques qui ont été affirmés par la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones », a déclaré Mme Deranger. Elle a souligné que ces droits sont soutenus par des cadres constitutionnels, juridiques et conventionnels, et que les connaissances autochtones, enracinées dans des relations millénaires avec la terre et l'eau, offrent des approches holistiques de la durabilité.
Mme Deranger a souligné que, bien que les perspectives autochtones soient de plus en plus prises en compte dans les accords internationaux tels que l'Accord de Paris, leur inclusion reste largement « symbolique » et ne s'accompagne pas de mécanismes concrets de mise en œuvre. « Nous sommes passé.e.s d'un discours largement axé sur le pouvoir colonial et la stabilité économique à une approche plus holistique », a-t-elle déclaré, « mais la manière dont cela va se traduire dans un cadre équitable reste encore à définir ».
Relationalité et responsabilité
Melina Laboucan-Massimo, fondatrice de Sacred Earth Solar et cofondatrice de Indigenous Climate Action, a insisté sur la nécessité de rétablir des relations réciproques avec la terre. « Apprendre à être en relation avec la Terre est fondamental pour notre survie ici, sur la planète Terre », a-t-elle expliqué. Laboucan-Massimo a décrit comment les systèmes de connaissances autochtones sont fondés sur les principes de relationnalité et de réciprocité, des valeurs qui ont soutenu les communautés de Turtle Island, le nom autochtone de l'Amérique du Nord, pendant des milliers d'années.
Laboucan-Massimo a réfléchi au lien historique profond qui unit les peuples autochtones à la terre. « Nous avons littéralement des récits qui remontent à avant la dernière période glaciaire. Cette continuité souligne l'urgence de s'éloigner des paradigmes extractifs et coloniaux qui ont conduit à la dégradation de l'environnement », soulignant que tou.te.s ceux et celles qui vivent sur ces terres ont la responsabilité d'entretenir des relations respectueuses et réciproques avec l'environnement. « Le changement climatique existe à cause du colonialisme. »
Le leadership autochtone sur la scène internationale et locale
Deranger et Laboucan-Massimo ont toutes deux une grande expérience des forums internationaux sur le climat, notamment les Nations unies et la Conférence des parties (COP) annuelle. Deranger, qui participe aux négociations de la COP depuis Copenhague en 2009, a décrit les défis liés à la défense des droits des peuples autochtones dans ces instances. « Nous devons participer non pas pour faire progresser les droits des peuples autochtones, mais pour les protéger contre toute nouvelle érosion et dégradation, et pour demander des comptes aux États et aux entreprises », a-t-elle affirmé, soulignant l'influence disproportionnée des lobbyistes du pétrole et du gaz lors des réunions de la COP et notant que les voix autochtones sont souvent minoritaires, mais restent essentielles pour demander des comptes aux acteurs puissants.
Laboucan-Massimo, qui participe aux réunions des Nations unies depuis 2004, a réitéré l'importance de la représentation autochtone dans la gouvernance mondiale du climat. Elle a toutefois mis en garde contre le fait de compter uniquement sur les systèmes internationaux pour obtenir des changements significatifs. « Il est important d'être représenté.e.s afin de garantir que la voix de nos peuples soit entendue et que nos droits soient respectés, mais il est également très important de ne pas dépendre de ces systèmes pour nous sauver. » Les recherches et le travail de défense des intérêts de Laboucan-Massimo se concentrent sur la mise en œuvre de transitions énergétiques justes dans les communautés autochtones, en mettant l'accent sur des solutions ancrées dans les besoins des communautés et menées par les peuples autochtones eux-mêmes.
Voies à suivre
Les panélistes ont convenu que, si la reconnaissance internationale des connaissances autochtones progresse, le véritable changement commence, se développe et s'épanouit sur le terrain, dans les communautés. Comme l'a déclaré Deranger, « en tant qu’Autochtones, nous mettons déjà en œuvre des solutions éprouvées qui ont des effets concrets, non seulement sur les systèmes énergétiques, mais aussi sur nos systèmes alimentaires, nos économies et le bien-être de nos communautés ». Le travail de Laboucan-Massimo avec Sacred Earth Solar, en particulier sur le Just Transition Guide, illustre bien cette approche communautaire des solutions climatiques.
Leur dialogue a souligné que le leadership autochtone est essentiel non seulement pour la justice climatique, mais aussi pour imaginer de nouvelles formes de solidarité, sur les plan personnel, culturel et politique. Alors que la crise climatique s'aggrave, les voix autochtones offrent des voies vers un avenir plus juste et plus durable pour tous.