« L’égalité-déjà-là » dans une société post féministe?

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10 février 2010

 

 

 

Louise Langevin, Université Laval, Québec
Article invité Il y a quelques années, la féministe française Christine Delphy avait dénoncé l’idée qu’elle voyait poindre : « L’égalité-déjà-là » pour les femmes. Puisque les femmes étaient présentes dans toutes les sphères de la société, qu’elles étaient égales en droit et que la plupart de leurs revendications avaient été satisfaites, elles étaient maintenant les égales des hommes. Selon cette idée ou cette perception, nous étions maintenant dans une société « post-féministe ». Il était temps de transformer les mécanismes dévoués à la condition féminine en organismes chargés de l’égalité (tous les motifs de discrimination et tous les genres confondus). Le féminisme et les groupes de défense des droits des femmes devenaient ainsi obsolètes, relégués à l’histoire des mouvements sociaux.

Certes, les Canadiennes ont réalisé des progrès importants en tant que citoyennes à part entière. Pourtant sont-elles aussi égales que les hommes (ou même trop égales), comme certains groupes l’affirment haut et fort? Les statistiques donnent à voir un autre portrait. Les femmes sont encore plus pauvres que les hommes pauvres. Elles sont encore victimes de violence conjugale et sexuelle dans des proportions supérieures aux hommes. Elles gagnent encore 29% de moins que les hommes. Elles forment la majorité des travailleurs à temps partiel. Il y a peu de femmes élues en politique. Elles sont les principales bénéficiaires des programmes sociaux. Les réalités sont encore pires pour les femmes autochtones et immigrantes.

Alors, pourquoi l’idée que les femmes sont maintenant les égales des hommes a-t-elle si bonne presse? La « question des femmes » est-elle encore pertinente en 2010? Les chercheures féministes et les groupes de femmes sont-elles essoufflées?

Devant le constat que la progression des conditions de vie des femmes stagne, certain-e-s proposent de changer de stratégie, de voir les hommes comme faisant partie de la solution et de travailler plutôt directement avec les hommes. Cette stratégie visant à intégrer davantage la participation des hommes et des garçons dans l’atteinte de l’égalité entre les sexes serait la voie à suivre. L’idée n’est pas si nouvelle : des féministes l’avaient compris en cas de congé de maternité et de paternité. Les pères et les hommes doivent nécessairement faire leur part dans la sphère privée pour que les femmes puissent être actives dans la sphère publique et assurer leur indépendance économique. Cette stratégie d’une plus grande participation des hommes semble plus articulée aujourd’hui, entre autres avec les études sur les masculinités (men’s studies). Des organismes internationaux l’ont inscrite à leur agenda. Des groupes de femmes ont critiqué ce courant qui peut faire passer l’atteinte de l’égalité pour les femmes au second plan, qui met les projecteurs sur les souffrances des hommes, qui laisse penser que les femmes - elles - ont déjà atteint l’égalité et qu’elles seraient allées trop loin (d’où une crise de la masculinité), sans parler du détournement possible des maigres fonds des groupes de femmes vers les groupes d’hommes.

Sommes-nous maintenant dans une société « post-féministe »?

Louise Langevin, Professeure titulaire, Chercheure associée à la Chaire d’étude Claire-Bonenfant sur la condition des femmes, Faculté de droit, Université Laval, Québec. Email : Louise.langevin@fd.ulaval.ca