Ma francophonie plurielle: se rencontrer pour faire vivre une langue

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19 mars 2020
Auteur(s) :
Dr. Anne-José Villeneuve, associate professor of French Linguistics at the Campus Saint-Jean and adjunct professor at the Department of Linguistics at the University of Alberta

Dre Anne-José Villeneuve, professeure adjointe de linguistique française au Campus Saint-Jean et professeure associée au Département de linguistique de l'Université de l’Alberta.

Avec plus de 300 millions de locuteurs, le français est la 5e langue la plus parlée au monde. C’est également l’une des langues officielles et de travail de l’Organisation des Nations Unies (ONU), qui fête en 2020 ses 75 ans d’existence.

Tous les ans, l'Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) reconnaît le 20 mars comme étant la Journée internationale de la francophonie. Cette année, dans le cadre des Journées des langues, l'ONU soulignera le 50e anniversaire de la Francophonie par le biais de la Journée de la langue française. Ce vendredi 20 mars 2020, des Canadiennes et Canadiens s’uniront donc aux francophones du monde entier pour célébrer la langue française comme on la parle de part et d’autre de l’Atlantique. Mais cette année, la célébration se déroulera en grande partie dans le monde virtuel...

En cette période d’incertitude et d’éloignement social provoqués par la pandémie de la COVID-19, ce 20 mars hors du commun est un moment parfait pour se rapprocher et apprendre à se connaître. Pour échanger sur nos expériences de francophones, de franglophones, de camarades de la francophonie. Pour réfléchir à une vision de la francophonie au sein de laquelle la voix de chacune et de chacun compte.

Comme chercheuse en sociolinguistique oeuvrant dans un campus francophone au coeur de l’Alberta, je m’intéresse à la variation linguistique, au bilinguisme et à l’apprentissage des langues. Née d'un père québécois et d'une mère haïtienne, j’observe depuis ma tendre enfance le poids de la norme prescriptive du français: la valorisation d’un supposé “français standard” au détriment d’autres variétés, stigmatisées. Enfant, j’analysais déjà les effets néfastes de cette discrimination linguistique sur les gens, sur leur estime de soi. Sans le savoir, avant même mon entrée à l’école, j’étais une sociolinguiste en herbe.

Ayant grandi dans la région de Montréal, j'ai toujours été entourée par le français. Au Québec ou en France, on ne naît pas francophone, on le devient. En Ontario ou en Alberta, c’est une autre histoire. Ce n’est qu’après mon arrivée dans le monde anglophone que j’ai découvert que j’étais francophone.

J'ai appris l'anglais en déchiffrant les boîtes de céréales, dans les cours d'anglais langue seconde, puis dans un programme pilote d'immersion en sixième année. Après un parcours dans le système scolaire francophone depuis la maternelle, j'ai voulu poursuivre une partie de mes études postsecondaires dans ma langue seconde. Malgré quelques défis liés à l’insécurité linguistique, cette nouvelle expérience interculturelle m’a beaucoup appris. Je devenais graduellement une francophone bilingue.

Ma mère ne nous a jamais parlé en créole haïtien, ni à moi, ni à mon frère aîné. Même si j’entendais parfois cette langue à la maison quand maman se fâchait ou qu’elle était au téléphone, je n’avais jamais osé parler créole, de peur que les « vrais » Haïtiens se moquent de mon « accent » québécois. Voulant faire de la recherche sur la langue de mes ancêtres, j'ai appris le créole haïtien à l’université, j’ai découvert mes racines et j’ai pu m’adresser à ma mère dans sa langue maternelle. Après avoir toujours communiqué avec elle dans la langue du colonisateur, pour la toute première fois, je lui parlais en Kreyòl, la langue du peuple.

Comme le gombo de la Louisiane, je suis donc le fruit d’une rencontre de cultures. Quand on est enfant d’immigrants, quand on est biculturel, on navigue quotidiennement entre deux mondes, on s’adapte constamment, on est interculturel. Ma francophonie est pareille. Si vous le permettez, laissez-moi vous en parler.

Ma francophonie, c’est une communauté de locuteurs du français -- une langue de France ayant propagé son influence coloniale en Amérique, en Afrique, dans l’Océan Indien. Ma francophonie rassemble, pour célébrer le français dans sa diversité, comme on le parle, ici et ailleurs, aux côtés de langues aussi diverses que l’anglais, l’arabe, le breton, le wolof ou l’espagnol. Ma francophonie, c’est un ensemble de gens de tous âges et de tous horizons qui se regroupent en communautés de pratique autour d’une langue, pour lui permettre de vivre au quotidien. C’est une symphonie de voix aux accents divers, aux expressions variées, qui projettent dans l’avenir une langue française vivante, dynamique, moderne. Car avouons-le, une langue n’est pas un objet inerte qu’on protège dans les musées, c’est un objet vivant, qui évolue dans la bouche des locuteurs.

Ma francophonie est plurielle, mais elle crée avant tout des ponts, en reconnaissant et en célébrant le patrimoine linguistique et culturel des personnes qui la composent. Celui de mon père, un Québécois du Lac Saint-Jean, dont les ancêtres français remontent au début du 17e siècle, à la fondation même de la Nouvelle-France. Celui de ma mère, une immigrante francophone et créolophone d’Haïti, une « néo-Canadienne » arrivée au Canada au début des années 70.

Ma francophonie reconnaît le parcours des francophones en situation minoritaire, qui baignent dans l’anglais depuis leur enfance, qui vivent avec une personne non-francophone, qui peinent parfois à entendre (et à faire entendre) leur voix dans les médias. Si certains ont pu être scolarisés dans la langue de leur foyer, grâce aux gains de celles et ceux qui ont défendu ardemment les droits des minorités linguistiques, d’autres ont eu un accès limité au français scolaire, au français “correct”. D’autres encore ont perdu la langue de leurs ancêtres et s’efforcent aujourd’hui de la faire découvrir à leurs enfants.


Une francophonie plurielle, c’est une francophonie où l’on peut se reconnaître, où l’on peut rire, découvrir, aider, échanger, bref s’épanouir en français. Parfois le français « correct » de la salle de classe, langue soutenue des discours publics, mais plus souvent celui de la rue, celui qui enlève son maquillage, celui qui vient des tripes et qui -- disons-le -- danse et se mélange à l’occasion avec l’anglais.

Que vous soyez francophone, franglophone, néofrancophone ou francophile, parlez français si vous le pouvez, ajoutez votre voix à celles des autres pour faire vivre la langue française. Bonne Journée de la langue française et bonne Journée internationale de la francophonie à toutes et à tous!

Pour en savoir davantage sur la Journée de la langue française de l’Organisation de Nations Unies (ONU), visitez le https://www.un.org/fr/observances/french-language-day