Le congrès de 2016 de la Fédération des sciences humaines du Canada : à propos de l’idée de l’université en tant que communauté

Blog
26 mai 2016
Auteur(s) :
Guy Laforest, President-Elect of the Federation for the Humanities and Social Sciences, Professor, Departement of Political Science, Université Laval


Guy Laforest, Président élu de la Fédération des Sciences Humaines, Professeur, Département de science politique, Université Laval

Ce blog a été publié sur le site web de Guy Laforest le 25 mai, 2016

L’Université de Calgary, située dans les contreforts des Rocheuses canadiennes, accueillera du 28 mai au 3 juin 2016 le congrès de la Fédération des sciences humaines du Canada. Plus de 8,000 participantes et participants, représentant quelque 70 associations savantes dans la grande famille des humanités et des sciences sociales, tiendront dans la métropole économique de l’Alberta leur grande rencontre scientifique annuelle, tout en se retrouvant autour d’un thème fédérateur : l’énergie des communautés. Dans un pays aussi immense que le Canada, ces rassemblements permettent aux chercheurs et aux intellectuels de fraterniser pendant quelques jours avec leurs collègues, d’imaginer de nouvelles collaborations tout en prenant le pouls de l’évolution de leur discipline. Cette année, on cherchera sans doute à trouver les manières appropriées pour exprimer un grand sentiment de solidarité envers la communauté albertaine de Fort McMurray, ravagée par d’épouvantables feux de forêt.

Prenant pour prétexte la tenue de ce congrès à Calgary, je vais essayer dans ce billet de réfléchir à la nature de l’université en tant que communauté.

L’idée de l’université comme communauté tournée vers le savoir a toujours été difficilement conciliable avec le concept d’égalité. Dans l’université de tradition classique, la hiérarchie ne touchait pas uniquement les gens mais aussi les disciplines. Y trônaient la philosophie et la théologie. Ce fut longtemps le cas dans l’institution où j’enseigne, l’Université Laval, fondée en 1852 par ce grand joyau de l’éducation qu’est le Séminaire de Québec, lui-même fondé en 1663. Dans l’université managériale du XXIe siècle, le génie, la médecine et l’administration dominent. Les professeurs y sont des ressources, les étudiantes et les étudiants y sont des clientèles (qu’il faut conquérir, garder, évaluer et préserver précieusement sur les listes des opérations philanthrophiques). La rationalité utilitaire, instrumentale, règne au sommet de l’institution. Les recherches économiquement utiles, innovantes, y sont clairement favorisées.

Les sciences sociales, quant à elles, se reconnaissent davantage dans l’université positiviste du XIXe siècle, laquelle était aussi inégalitaire. C’est d’ailleurs également le cas de l’université humaniste tournée vers la recherche du Beau, du Bon et du Vrai. Cette remarque me semble tout aussi juste pour les universités de la Renaissance que pour celles qui conservent la marque de l’idéal humboldtien du début du XIXe siècle en Allemagne, où le but était de façonner des êtres humains développant dans la liberté et de manière harmonieuse l’ensemble de leurs facultés. L’institution universitaire n’était pas, et n’est toujours pas, une démocratie. Les professeures et professeurs y jouent certes un rôle privilégié. Ils sont l’avant-garde de l’université en tant que communauté du savoir. En toute franchise, je ne pense pas qu’il puisse en être autrement.

L’université est soumise à un régime démocratique mais elle n’est pas, en elle-même, une démocratie. On peut souhaiter que la gouvernance des universités soit plus éclairée, plus transparente, plus responsable, à l’abri de tous les corporatismes et de tous les clientélismes, de la cooptation et du favoritisme. Toutefois, j’ai toujours pensé que l’on errait en invoquant les mécanismes de la démocratie représentative ou les idéaux de la démocratie participative pour atteindre de tels objectifs. En même temps, j’estime tout à fait normal que nos gouvernements, lesquels se réclament avec raison de la démocratie, demandent aux universités et à leurs membres de rendre des comptes quant à leur manière d’utiliser les deniers publics, dans le respect bien sûr de la liberté académique.

En somme, j’estime que l’université peut être une communauté authentique, humaine, admirable. Cela demeure un bel idéal. Sur la base de mes propres expériences, je vais donner quelques exemples lesquels, je l’espère, pourront être utiles pour la concrétisation de cet idéal dans d’autres milieux.

L’université est une communauté authentique quand, dans les processus d’embauche d’une ou d’un nouveau collègue, tous les membres d’une unité d’enseignement et de recherche étudient de manière approfondie l’ensemble des dossiers, débattent entre eux de façon rigoureuse, exigeante mais sereine, en sachant que la décision qui sera prise sera cruciale pour l’avenir de l’unité, certes, mais aussi et surtout pour les personnes concernées.

L’université est une communauté authentique quand, après un cours, plusieurs étudiants restent un bon moment dans la salle de classe avec la professeure ou le professeur pour approfondir l’un ou l’autre des thèmes discutés pendant la séance, ou encore tout simplement pour échanger sur des questions connexes ou des sujets d’actualité.

L’université est une communauté authentique quand des professeurs remplacent un collègue pour donner un cours à sa place, quand cette personne fait face à des urgences personnelles et professionnelles.

L’université est une communauté authentique quand des collègues font preuve de générosité les uns avec les autres, donnant des signes d’appréciation face aux succès des autres ou encore en leur suggérant des sources utiles pour l’approfondissement de leurs recherches.

J’œuvre depuis une trentaine d’années dans le milieu universitaire. La première communauté authentique que j’ai fréquentée à l’université fut celle du département de science politique de l’Université de Calgary, où j’ai enseigné de 1986 à 1988. Dirigé à cette époque par Tom Flanagan, ce département était caractérisé par un grand dévouement envers les étudiants et l’enseignement de la science politique, par une très grande émulation dans la bonne humeur et la générosité. Le corps professoral y était constitué par les personnes suivantes : Keith Archer, Doreen Barrie, Donald Barry, Barry Cooper, Mark O. Dickerson, Stan Drabek, Shadia Drury, Thomas Flanagan, Roger Gibbins, Bohdan Harasymiw, James Keeley, Ronald Keith, Rainer Knopff, Tariq Ismaël, Ted Morton, Neil Nevitte, Leslie Pal, Anthony Parel, Carol Prager et Donald Ray. Je leur exprime toute ma gratitude pour tout ce que j’ai appris en les côtoyant, notamment à propos de la théorie et de la pratique de l’idée d’université comme communauté.