Ottawa, ma ville bilingue: une idée inachevée

Blog
February 10, 2015
Author(s):
Jean-Marc Mangin, Directeur général, Fédération des sciences humaines

Camille Ferrier qui s’est jointe l’été dernier à l’équipe du Secrétariat de la Fédération a partagé récemment ses réflexions sur le caractère bilingue de l’Université d’Ottawa, du Congrès 2015 et de la ville d’Ottawa elle-même.

Il est rafraichissant de célébrer et de se faire rappeler par une nouvelle résidente d’Ottawa ce que nous avons collectivement bâti comme société pluraliste et inclusive. Une certaine harmonie et tolérance règnent : il existe un consensus social fort que le français constitue une langue officielle du pays et que nos institutions publiques doivent offrir des services en français à ses citoyens. Le maire d’Ottawa et la première ministre de l’Ontario font des efforts louables –même s` ils sont parfois un peu laborieux-- pour donner leurs discours dans les deux langues officielles. Tout cela est très important aux niveaux symboliques et politiques et en termes d’accès concrets aux services de l’État pour pleinement assumer notre dualité linguistique.

Cependant, nul n’a besoin de creuser bien loin pour réaliser la fragilité de ces acquis. Une lecture des rapports de Graham Fraser, commissaire aux langues officielles, suffit pour désabuser toute notion que la lutte est maintenant gagnée. La survie des minorités linguistiques demeure un enjeu presque partout au pays. Nos leaders politiques locaux – bien que francophiles —hésitent à officiellement déclarer Ottawa comme ville bilingue car ils craignent le ressac politique et social potentiel.

Pour la Fédération des sciences humaines elle-même, assumer cette dualité linguistique n’a pas été toujours facile. A ses origines, la Fédération fut portée surtout par des leaders intellectuels anglophones. Les réunions du  Conseil d’administration (CA), nos assemblées annuelles, le Congrès lui-même se déroulent largement en anglais. Bien sûr, nos communications publiques sont toujours disponibles dans les deux langues et un nombre croissant des membres du CA et du Secrétariat sont bilingues. De fait, la majorité de notre CA national se débrouille fort bien en français avec au moins le tiers de nos directeurs qui sont francophones.

Néanmoins, la majorité des chercheurs francophones en sciences humaines se sont  investis dans des réseaux francophones québécois ou viennent présenter leur recherche en anglais. Le public pour nos causeries Voir grand qui se tiennent en français n’est pas toujours au rendez-vous  malgré la traduction simultanée. Au lieu de constituer des ponts et d’entretenir des dialogues,  nos mondes académiques canadiens reflètent trop souvent nos deux solitudes. Heureusement, de nombreuses exceptions existent: salles combles pour un Danny Laferrière à Victoria un dimanche matin ou pour une Antonine Maillet à Fredericton. Et le visage de nos communautés de chercheurs francophones ou bilingues hors Québec change rapidement avec l’arrivée de nouveaux chercheurs venus de l’immigration, des nations autochtones et des communautés francophones exclues pour trop longtemps des parcours universitaires.

Donc, la Fédération doit évidemment continuer ses efforts pour mieux refléter notre dualité linguistique. Mais cela demande une vigilance qui doit se renouveler au quotidien dans nos opérations, le support constant de notre CA et un appel à notre communauté des sciences humaines et à nos concitoyens à mieux comprendre et refléter la diversité de notre pays.

Le  succès de cet engagement repose sur cette nouvelle génération  dont Camille reflète bien  son ouverture d’esprit, sa confiance en soi et sa belle énergie. Cette génération n’a pas connu le Maire Jones à Moncton, Penetanguishene ou Sauvons Monfort  et encore moins les lois discriminatoires en Ontario, au Manitoba et ailleurs au pays. Il ne faut pas oublier ces luttes de justice mais il faut célébrer avec confiance ce que nous avons accompli et pouvons enfin réaliser ensemble : un pays bilingue avec un pacte vivant et dynamique de justice et de générosité entre nations –autochtones, québécoises et canadiennes. Cette idée du Canada est au cœur des débats et des recherches en sciences humaines. Avec 2017 et le cent cinquantième du Canada qui se pointe, cette idée demeure toujours d’actualité.