Panser le Canada : une histoire intellectuelle de la commission Laurendeau-Dunton, 1963-1971

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August 7, 2018
Author(s):
Valérie Lapointe-Gagnon, professeure d’histoire, Faculté Saint-Jean de l’Université de l’Alberta

« Mariage de raison », « deux solitudes », « mal canadien », « marécage », « duel constitutionnel », les métaphores de combat et d’éloignement sont nombreuses dans la littérature pour évoquer les relations conflictuelles entre le Québec et le Canada et auparavant entre le Canada français et le Canada anglais. C’est de cette fascination pour ces tensions et les débats constitutionnels qu’est né mon projet doctoral qui a mené, après plusieurs années de recherche, à la publication de Panser le Canada. Si les tensions ont été légion, on oublie souvent l’apport des femmes et des hommes qui ont tenté de les expliquer et de les dénouer pour tracer les voies d’un avenir meilleur. J’ai voulu comprendre les motivations de ces individus. C’est ce qui m’a amenée sur les traces de la Commission royale d’enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme – mieux connue sous le nom de Laurendeau-Dunton.

Créée en 1963 par le gouvernement libéral de Lester B. Pearson, la Commission constitue une entreprise de réconciliation d’envergure, qui tentait de composer avec le nouveau Québec de la Révolution tranquille, qui se manifestait avec éclat et réclamait des changements constitutionnels. Elle était dirigée par André Laurendeau et Davidson Dunton, épaulés par huit commissaires et une équipe de recherche imposante, rassemblant les meilleurs spécialistes en sciences humaines et sociales de leur temps. Tous à leur manière, les commissaires ont réfléchi à un remède aux problèmes de l’époque, où l’on s’inquiétait de l’avenir du pays devant la montée de l’indépendantisme et la force de l’influence états-unienne sur le Canada.

Afin de brosser un portrait précis de cette période, des motivations des commissaires et de leur travail, j’ai, comme les commissaires, traversé le Canada et visité de nombreux centres d’archives allant d’Ottawa, à Calgary en passant par Montréal et Québec. Au-delà des documents officiels et des rapports, mieux connus, j’ai souhaité plonger dans les coulisses de la Commission en analysant la correspondance et les documents personnels des commissaires et de leur garde rapprochée. Cette étude m’a permis de revivre les tensions idéelles vives qui ont marqué l’entreprise, mais aussi les espoirs qui animaient le groupe.

Dans certains travaux soumis à la Commission, les commissaires se mettent à rêver à leur Canada idéal. Pour l’ensemble du groupe, le statu quo n’est pas envisageable puisque le Canada est gravement malade pour de nombreuses raisons, notamment le provincialisme, les préjugés, l’absence de dialogue et surtout le manque de considération envers les francophones et le Québec. Certains commissaires imaginent un Canada entièrement repensé. C’est le cas d’André Laurendeau et de Paul Lacoste, qui souhaitent un statut « très spécial » pour le Québec afin de créer un partenariat plus égalitaire entre le Canada français et le Canada anglais. Ils veulent revoir la répartition des compétences entre le gouvernement fédéral et la province francophone. D’ailleurs, le premier volume du rapport final devait se consacrer aux grands enjeux politiques et aux questions constitutionnelles en exposant le Canada idéal des commissaires. Finalement, ce projet sera interrompu pour faire place à un premier volume plus consensuel sur les questions linguistiques. Si certains commissaires se réjouissent de ce changement, d’autres vont militer jusqu’à la fin pour que la Commission entre sur le terrain miné des enjeux constitutionnels.

Le récit de l’abandon du livre sur les questions politiques est exposé dans Panser le Canada. Il est révélateur d’une période phare, où une fenêtre s’est ouverte pour penser le fédéralisme autrement, fenêtre qui s’est refermée avec, entre autres, l’entrée en scène de Pierre Elliott Trudeau et la mort d’André Laurendeau, âme de la Commission, en plein cœur des travaux. Ce faisant, la Commission est demeurée une œuvre inachevée.

 

Valérie Lapointe-Gagnon est professeure d’histoire à la Faculté Saint-Jean de l’Université de l’Alberta. Détentrice d’un doctorat en histoire de l’Université Laval, elle s’intéresse à l’histoire intellectuelle du Québec et du Canada contemporains, à l’apport des intellectuels à la société et aux questions constitutionnelles.

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