La construction de martyrs au Moyen-Orient: Bourses postdoctorales Banting 2012

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October 31, 2012

Daniel Drolet Journaliste indépendant

Laure Guirguis, née d’une mère française et d’un père égyptien chrétien, parle l’arabe et a régulièrement séjourné en Égypte depuis son enfance.

Titulaire d’un DEA (Master 2) en philosophie, elle n’avait pas songé à concentrer ses efforts sur le problème copte lorsqu’elle a commencé son doctorat sur les transformations de la scène politique égyptienne. Son directeur de recherche lui a signalé l’actualité de ce sujet pour sa thèse de doctorat en études politiques à l’École des hautes études en sciences sociales à Paris.

Elle a vécu en Égypte de 2005 à 2010,  et a donc pu observer de près la fin du régime de Hosni Moubarak. Aujourd’hui elle est installée à Montréal. Récipiendaire d’une Bourse Banting du gouvernement canadien pour des études postdoctorales, elle mettra à profit ses connaissances du Moyen-Orient pour étendre à Israël et au Liban l’analyse de la reproduction des identités communautaires et la ‘construction’ de martyrs dans ces trois pays.

A cet égard, elle considère que la figure du martyr tient un rôle crucial. Car avec le martyr, dit-elle, cest tout le problème du rapport entre le corps, limage et la définition de lautorité qui est en jeu. La production du martyr permet de représenter le collectif, communauté ou nation. Ainsi, le décès de deux jeunes hommes a constitué le facteur déclenchant des révolutions tunisienne et égyptienne.

En Tunisie, c’est l’immolation de Mohamed Bouazizi en décembre 2010 qui a marqué le début de l’insurrection. En Égypte, le jeune Khaled Saïd, battu à mort par deux policiers, est devenu une icône de la révolte dans ce pays. Les mobilisations collectives mais sectorielles se multipliaient en Égypte depuis cinq ans environ, dit-elle. Ce qui a permis d’unifier les opposants au régime, c’est l’image du jeune homme tué par les policiers.

Guirguis veut donc faire porter ses recherches sur la construction de martyrs. Mais elle ne se limitera pas à un seul pays; elle veut comparer trois pays très différents de la région, l’Égypte, Israël et le Liban.

« Je veux montrer qu’il y a des dynamiques et des processus semblables dans ces trois pays » affirme-t-elle.

Elle travaillera au Département de science politique de l’Université de Montréal, et examinera dans une perspective trans-religieuse et trans-étatique comparative le rôle de la formation des martyrs contemporains dans la construction des groupes communautaires ou nationaux.

La création de l’État égyptien moderne, amorcée au XIXe siècle, a été accomplie sous la présidence de Gamal Abdel Nasser, parvenu au pouvoir au terme du coup d’État des Officiers libres en 1952.  Mais la corde nationaliste, si importante à l’époque, est en déclin, et la variante religieuse de l’idéologie identitaire prend de l’ampleur.

Guirguis affirme qu’en Égypte, le clivage s’accentue désormais entre les Coptes (environ 6 p. cent de la population, selon les statistiques officielles contestées par l’Église et les militants coptes) et la majorité musulmane.

On entend maintenant dire qu’un Musulman ne doit pas manger avec un Chrétien, ou même consommer de la nourriture préparée par un Chrétien. Et dans certains immeubles, les habitants  refusent parfois de vendre un appartement à un Chrétien si tous les autres occupants sont des Musulmans, et vice versa. « Ces barrières deviennent infranchissables », dit-elle.

Guirguis pense que ces problématiques intéressent le Canada à plusieurs égards. Le Canada nourrit des minorités autochtones et a accueilli depuis peu des immigrants provenant de pays dont les mœurs et coutumes diffèrent des siens. La question de la cohabitation entre ces divers groupes se pose par conséquent aussi dans ce pays.

De plus, elle espère que son travail permettra aux Canadiens – et à leur gouvernement – de comprendre ce qui se passe au Moyen-Orient, un coin du monde qui est toujours d’actualité.

Photo grâce à oxfamnovib sur Flickr.