Prix du Canada en sciences humaines et en sciences sociales: Une entrevue avec Marion Froger

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7 avril 2011

Le Prix du Canada en sciences humaines et le Prix du Canada en sciences sociales reconnaissent des ouvrages savants qui sont essentiels à la croissance du savoir et qui enrichissent la vie sociale, culturelle et intellectuelle au Canada et au monde. Quatre prix - deux en anglais et deux en français - d'une valeur de $2 500 chacun sont décernés chaque année. Les ouvrages admissibles pour les prix ont reçu une subvention du Programme d'aide à l'édition savante et sont choisis par un jury de savants de partout au Canada.

Marion Froger est lauréate du Prix du Canada en sciences humaines. Dans Le cinéma à l'épreuve de la communauté. Le cinéma francophone de l'Office national du film 1960-1985 (Presses de l’Université de Montréal), l’auteure met l’accent sur la dimension communautaire du travail d'une génération de cinéastes qui a œuvré au sein de l’Office national du film, et sur le désir de communauté du public de cette époque. Grâce à une approche interdisciplinaire, elle dévoile les fondations d’une cinématographie de proximité qui fait une large place à la production de lien social. La trame de notre société est constituée de plusieurs éléments qui ne sont rien de plus que nos récits et notre manière de les exprimer.

1. Vous étudiez le rôle que le cinéma, tel que soutenu par l’Office national du film, a joué pour aider à créer des liens communautaires dans la société québécoise. Est-ce qu'il continue à jouer un rôle important dans le renforcement de la communauté ? Comment ?

J’ai voulu comprendre la dimension communautaire de ses films, en relation avec ses conditions de travail à l’Office national du film et ses préoccupations sociales. L’objectif de ce travail était de montrer pourquoi ces cinéastes ont fait un cinéma « du lien » : il se trouve que ce cinéma s’enracine dans un contexte socioculturel et politique particulier (la révolution tranquille au Québec ¬ la « lutte contre la pauvreté » au niveau fédéral), des pratiques collaboratives uniques entre les cinéastes, une démarche documentaire spécifique (le cinéma direct) qui permettait de rencontrer les personnes que l’on filmait et de partager un désir de film, une certaine ambiance de réception où le sentiment de communauté était l’ingrédient principal du plaisir pris à voir les films.

 Cependant, toute ma démarche interroge constamment cette volonté de lien, ce désir, cette sensibilité au lien, qui, du coup, n’est pas tant le fruit ou le résultat d’une action, qu’une aventure, une épreuve. La « communauté » n’est donc pas pour moi une entité réelle (politique, sociale, économique) que le cinéma renforce, mais un enjeu, un pari qui lie les cinéastes, les personnes filmées et leur public. 

2. Selon vous, quelle peut être l'influence des chercheurs sur la création de politiques concernant l¹art et la communauté ?

Mon travail n’avait pas pour but d’influencer la création de politiques concernant l’art et la communauté, mais d¹offrir une analyse différente sur la pratique documentaire, et de mettre en avant la sensibilité communautaire sur laquelle elle repose. J’espère du moins que ce genre de travaux permettra de faire comprendre que ces pratiques et ces expériences sont importantes pour nos « sociabilités » et qu’elles ne peuvent être traitées sous le seul angle de la défense d’une « industrie culturelle ».

3. Sur ces questions, est-ce que les chercheurs canadiens ont, en se basant sur l¹expérience canadienne, quelque bien unique ou spécifique à offrir au monde ?

Toutes les recherches, dans tous les pays sont importantes, dès qu’il s’agit de comprendre nos pratiques et notre sensibilité au lien, car nous avons, sur ce plan, beaucoup à apprendre et à comprendre des uns et des autres.

4. Que représentent pour les chercheurs et leurs ouvrages des distinctions comme le Prix du Canada ?

Les ouvrages des chercheurs représentent des années de recherche et d’effort ; il est souvent difficile de mesurer l’influence ou l’impact de ce travail ; les idées se diffusent, germent sans laisser forcément de traces tangibles, et cette distinction représente un message clair de reconnaissance et d’encouragement de la part de nos pairs.