La littérature des mondes magiques et des mémoires : Dany Laferrière voit grand et en profondeur

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2 juin 2013

Maryse Bernard www.twitter.com/MaryseVictoria


À première vue, les écrivains Jorge Luis Borges et Dany Laferrière se ressemblent peu. Le premier, un érudit argentin décédé en 1986, composait des paysages fantastiques dans sa prose et sa poésie. Le deuxième, un romancier originaire d’Haïti, écrit largement en style autobiographique. Ses œuvres illustrent des endroits concrets de son passé, suivant sa jeunesse à Port-au-Prince, jusqu’à sa vie adulte une fois arrivé au Québec en 1976.

D’après l’apparence opposée de leurs styles, il peut être surprenant d’apprendre que Borges ait servi de guide pour Laferrière au long du chemin littéraire. Cela a pourtant été le cas, dès qu’il soit tombé sur “Fictions” dans les étagères d’une petite bibliothèque sur la rue St-Denis.

Lors de «Je vis comme j’écris», l’évènement Voir Grand présenté par la Fédération des sciences humaines dimanche matin, Dany Laferrière discute de ce lien profond avec son prédécesseur. Il commence par expliquer que sa rencontre avec Borges s’est fait par hasard, comme toutes les grandes rencontres se font selon lui. Même si l’écrivain haïtien ne se considérait pas comme étant un grand lecteur de fiction, il a vécu le coup de foudre.

«C’est rare de se trouver dans un univers qui vous semble étranger et qui vous plait à la fois, dit Laferrière. Je ne comprenais pas le fait que cette prose…soit si différente de moi, mais à la fois la chose que je voulais lire ».

Leurs carrières illustres servent comme point commun pour les deux auteurs. Le premier roman de Laferrière, Comment faire l’amour avec un nègre sans se fatiguer, est paru en 1985 et a connu le succès immédiat au Québec. Quatre ans plus tard, le livre fut adapté pour le cinéma et traduit en multiples langues internationales. En 2006, l’écrivain remporta le Prix du Gouverneur général pour son livre illustré pour enfants, Je Suis Fou de Vava. Son œuvre la plus récente, L’Énigme du Retour, lui a mérité le prix Médicis en 2009.

Aujourd’hui, Laferrière a publié plus de 20 titres, mais reste sans prétention. Il arrive sur scène une orange en main, qu’il jette en l’air et rattrape quelques fois. À 60 ans, il retient l’esprit gamin qu’il valorise tant sur ses pages. Dans L’Odeur du Café, son livre qu’il dit lui est très cher, il raconte son enfance au Petit-Goâve. Sur une toile de fond magnifique de mer et de montagne, il y a entendu ses premiers dialogues. Même comme petit garçon, Laferrière a compris qu’il était le narrateur pour cette collection de moments. Il tenait devant lui le «grand théâtre de la littérature».

Revenant au mystère de sa connexion avec Borges, Laferrière offre une solution simple : L’écrivain argentin avait superposé son amour de la réalité et de l’imaginaire. Il lui a ouvert un univers crédible mais sans limite.

«Il a dans son écriture quelque chose qui s’empare de vous, mais en même temps vous propose une fenêtre pour vous échapper, dit Laferrière. Il voit trop grand pour vous emprisonner…être séduit par quelqu’un qui ne vous emprisonne pas, c’est magnifique.»

Les spectateurs semblent eux aussi être séduits par la discussion de Laferrière—ses jeux de mots et son élocution facile, même face au sujet difficile de la dictature féroce haïtienne. L’écrivain voit grand tout en exécutant une réflexion en profondeur sur son enfance, qui nous invite a revisiter la nôtre.

Comme l’a fait pour lui Borges, Laferrière prend doucement la main de son lecteur, pour le guider à travers du sentier de l’imagination et des souvenirs.