Les données gouvernent le monde, comment les gouverner?
Par Shara Brandt
Les données sont partout. Elles constituent la force cachée derrière les décisions prises en matière de politique législative, de technologie, d'éducation et bien plus encore. Nous utilisons les données quotidiennement, de bien plus de façons que nous ne le pensons. Avez-vous déjà consulté vos achats passés via une application de commande de repas et décidé quoi commander ensuite en fonction de la qualité nutritionnelle (ou non) de ces achats passés? C'est là que la prise de décision fondée sur les données entre en jeu. Plus concrètement, les chercheur.euse.s des établissements d'enseignement supérieur sont constamment à la recherche de données pertinentes pour confirmer et compléter leurs hypothèses. Mais les données, en particulier les ensembles de données à grande échelle et spécifiques, peuvent être difficiles à obtenir. La recherche primaire nécessite des ressources considérables auxquelles les personnes travaillant dans des programmes ou des domaines sous-financés n'ont tout simplement pas accès. La recherche secondaire est donc très utile, mais elle pose ses propres problèmes. L'accessibilité en est un, mais il y a aussi la question de la vérification de la validité et de l'applicabilité des données empruntées.
C'est là qu'interviennent des organisations telles que le Réseau canadien des Centres de données de recherche (RCCDR). Depuis plus de 25 ans, elles s'efforcent de fournir aux chercheur.euse.s cette précieuse ressource qu'est l'information. Grâce à un partenariat stratégique avec Statistique Canada, elles partagent des enquêtes, des ensembles de données et des recherches menées dans 30 disciplines, dont la sociologie, la santé publique, la gouvernance et bien d'autres encore. Ces ensembles de données sont vastes et approfondis, certains enregistrements étant conservés pendant plus de 20 ans. Le RCCDR s'associe ensuite à des universités dans tout le Canada pour libéraliser l'accès à l'information afin que toute personne ayant une raison de l'utiliser puisse le faire. Les chercheur.euse.s sont ensuite invité.e.s à consigner l'utilisation qu'ils font des données, ce qui enrichit la base de données du RCCDR et crée un cycle symbiotique de partage des connaissances. Le RCCDR travaille même avec les chercheur.euse.s pour noter si les données utilisées qui ont conduit à la publication d'un article ont eu un impact sur la législation. Cela permet aux chercheur.euse.s dans tout le Canada, ainsi qu'au RCCDR, de démontrer la valeur de leur travail.
Non seulement ils et elles ont pour mission de faire des données une ressource largement accessible, mais ils et elles s'engagent également à en assurer la sécurité. Leurs laboratoires sont protégés par des cartes magnétiques et l'utilisation d'Internet y est strictement interdite. L'accord conclu avec Statistique Canada a été soigneusement négocié et vise à protéger l'intégrité des précieuses données qu'il partage. Dans le laboratoire, il n'y a que les chercheur.euse.s et les données, sans aucune distraction extérieure. La dernière pièce du puzzle est la manière dont le RCCDR met en relation les chercheur.euse.s entre eux. Il encourage activement et met en relation celles et ceux qui utilisent les mêmes ensembles de données et celles et ceux qui mènent des recherches similaires afin de favoriser la création d'une communauté et les échanges. À une époque où les données sont plus recherchées que jamais, le RCCDR offre une ressource polyvalente et complète à tou.te.s celles et ceux qui apprécient l'art de l'obtention de données précises et détaillées.
Si vous souhaitez devenir partenaire et profiter de toute la valeur de la base de données du RCCDR, rendez-vous sur : https://crdcn.ca/?lang=fr.
Ne laissez pas l'IA vous aliéner
Par Shara Brandt
« Nous sommes toutes et tous, d'une certaine manière, responsables d'une IA responsable. Et cela implique en grande partie de prendre au sérieux la maîtrise de l'IA, surtout maintenant que nous voyons les étudiant.e.s l'utiliser à grande échelle ». - Geoffrey Rockwell, professeur de philosophie et d'informatique humaine à l'Université de l'Alberta.
Les conversations autour de l'IA peuvent être assez intimidantes. C'est une technologie qui s'est intégrée dans de nombreux aspects de la vie, et pourtant, lorsqu'on leur demande comment elle fonctionne réellement, beaucoup sont incapables de répondre. Cela est préoccupant, car cette technologie présente de nombreux aspects qui soulèvent des questions techniques et éthiques. Il peut être difficile d'aborder ces questions sans une compréhension collective des outils que nous utilisons. En général, lorsqu'une nouvelle technologie est introduite, il y a d'abord les précurseurs (généralement celles et ceux qui sont orienté.e.s vers la technologie), puis le grand public, et enfin les retardataires qui sont lents à s'adapter. Ces trois phases d'adoption d'un produit ont nécessité du temps, une éducation progressive et de la pratique. Pourtant, certains outils d'IA semblent constituer un cas unique, se répandant plus rapidement que la plupart des autres outils qui les ont précédés. Il semble que tout le monde, des enfants aux professionnel.le.s, utilise l'IA dans une partie de sa vie quotidienne. Il est donc plus important que jamais de sensibiliser le public aux nombreux avantages et inconvénients de cet outil. Comment fonctionne-t-il et comment pouvons-nous nous assurer qu'il est utilisé de manière responsable?
De manière générale, l'IA fonctionne grâce à un système d'apprentissage automatique. Cela signifie que l'IA est un type d'algorithme qui traite de grandes quantités de données, en tire des modèles et des structures, puis utilise ces connaissances pour répondre aux demandes des utilisateur.trice.s ou effectuer des tâches. Il existe de nombreux outils différents sous le terme générique d'IA, et chaque outil ne peut fonctionner que dans les limites du modèle qu'il utilise. Parmi les outils les plus populaires, on peut citer ChatGPT, un grand modèle de langage (GML) qui a appris à « parler » avec une grammaire et une cohésion correctes et qui peut accomplir un large éventail de tâches, telles que l'aide à la rédaction de documents, la génération de code et la réponse à des questions sur divers sujets. La technologie de reconnaissance faciale (TRF) est un autre sous-ensemble important de l'IA. La TRF peut être utilisée pour identifier des personnes à partir de leurs traits faciaux et peut être utilisée dans de nombreux domaines, mais elle a récemment fait l'objet de critiques au Canada et en Europe en raison de son utilisation illégale par des organismes de sécurité publique et des entreprises de vente au détail.
Une enquête menée par le Commissariat à la protection de la vie privée du Canada (CPVC) a révélé que la Gendarmerie royale du Canada (GRC) avait enfreint la loi canadienne sur la protection de la vie privée en s'associant à une entreprise appelée Clearview AI pour collecter des milliards de photos de personnes sur Internet et les comparer à la base de données existante de la GRC. Cette pratique est illégale, car le consentement des personnes concernées n'a pas été obtenu pour prendre des photos sur Internet, ce qui signifie que la GRC surveillait en permanence la population à son insu. De plus, des études avaient déjà été publiées à ce moment-là, montrant que les systèmes de reconnaissance faciale étaient moins précis dans l'identification des visages non blancs, ce qui signifiait que les personnes de couleur seraient injustement associées à un passé criminel en cas d'erreur de reconnaissance, ce qui était beaucoup plus fréquent.
Il existe une idée fausse très répandue selon laquelle, pour résoudre les problèmes liés à la technologie, les seules personnes qui peuvent vraiment faire la différence sont celles qui travaillent dans ce domaine. C'est faux, car cela ignore le fait que même celles et ceux qui codent les algorithmes utilisés par l'IA sont des êtres humains, et donc imparfaits. Les préjugés du programmeur se retrouveront dans le code, qu'on le veuille ou non. Lorsque le problème est reformulé de cette manière, il apparaît clairement qu'il dépasse largement le cadre purement technique. Lorsque des questions d'éthique comme celle-ci se posent, il est également important que les spécialistes des domaines concernés s'expriment et participent à l'élaboration des politiques. Plus largement encore, pour que l'IA soit tenue responsable, nous devons tous nous impliquer et ne pas laisser un outil aussi prometteur nous diviser davantage.
L'effondrement que le temps a oublié : un ingénieur britannique, des immigrant.e.s néerlandais.es et la pire tragédie sur le lieu de travail en Ontario
Par Ayat Salih
Un ingénieur britannique, des immigrants néerlandais et la pire tragédie sur le lieu de travail en Ontario
En 2020, le cinéaste Eric Philpott a fait une découverte inattendue : une boîte remplie des journaux intimes, des photographies et des documents de chantier de son défunt père datant des années 1950. Ce qu'il a découvert n'était pas seulement des archives familiales, mais aussi des preuves de la pire tragédie sur le lieu de travail en Ontario, et la plus oubliée.
Les faits se sont déroulés en 1957, à Dresden, en Ontario, à une époque de développement intense après la guerre. Le père d'Eric, un ingénieur britannique qui avait immigré au Canada l'année précédente, travaillait sur un important projet d'excavation. Des inquiétudes concernant la stabilité du sol avaient été soulevées, notamment par le grand-père d'Eric resté au Royaume-Uni, qui avait exhorté son fils à effectuer des tests. Plusieurs ouvrier.ère.s avaient fait part de leurs craintes à leurs proches. Mais le projet a continué.
Ce jour fatidique, quinze minutes avant la fin du coulage du béton, le mur est de l'excavation s'est effondré. Six hommes ont été ensevelis vivants. Cinq d'entre eux étaient des immigrants néerlandais, dont beaucoup étaient arrivés récemment au Canada dans l'espoir de se construire une nouvelle vie. La plupart avaient des enfants, de jeunes familles, et venaient de communautés agricoles rurales des Pays-Bas. Wiebrand Hovius, son père Enne Hovius, Jan Bremer, Jan Oldewening, Hendrik Drenth et leur contremaître, Dirk Ryksen. Ce sont ces hommes que 20 enfants et 5 épouses ont perdus.
Le père d'Eric venait de sortir de la fosse lorsqu'elle s'est effondrée. Il s'est retourné, a vu l'effondrement et a couru pour donner l'alerte. Des centaines d'hommes sont arrivés pour aider à creuser dans la terre. Le dernier corps a été retrouvé 38 heures plus tard. La tragédie a fait la une des journaux nationaux et internationaux – plus de 100 articles ont été publiés, y compris aux Pays-Bas – mais elle a rapidement disparu de la mémoire collective.
Une enquête a été menée. L'entrepreneur a été acquitté. Personne n'a été tenu pour responsable.
Grâce à ses recherches et à son travail documentaire, Eric a commencé à reconstituer ce qui s'est passé et à identifier les victimes. Avec l'aide de chercheur.euse.s locaux comme Wayne, dont la défunte épouse a perdu son père dans l'effondrement, Eric a rassemblé des témoignages, des photos, des lettres et même un plan du site. L'une des images les plus poignantes montre les ouvriers debout à l'endroit exact où ils allaient trouver la mort le lendemain. Une autre, prise juste avant l'effondrement, est la dernière photo où on les voit vivants.
Le documentaire Dresden 1957 vise à raconter l'histoire que ces hommes n'ont jamais pu raconter. Il va au-delà de l'événement lui-même pour examiner l'effacement plus large de la main-d'œuvre immigrée dans l'histoire du Canada. Malgré l'ampleur de la tragédie, celle-ci a été exclue du rapport de la Commission royale sur la sécurité industrielle publié quelques années plus tard, contrairement à l'effondrement du tunnel de Don Valley en 1960, qui avait coûté la vie à cinq travailleurs italiens et déclenché de vives protestations.
Pour en savoir plus sur le projet ou pour soutenir le documentaire, rendez-vous sur dresden1957.com.
Connaissances résonnantes et imagination sonore noire
Par Mahmoud Shabeeb
Que signifie vraiment écouter, non seulement les mots, mais aussi les histoires, les luttes et les rêves véhiculés par les sonorités noires? Cette question était au cœur d'une récente session du Congrès qui invitait les participant.e.s à découvrir le curriculum non pas comme quelque chose de statique ou d'écrit, mais comme quelque chose de vibrant, de vivant et profondément sonore. À travers des récits personnels, des échos historiques et des paysages sonores immersifs, les intervenants ont exploré comment l'imaginaire sonore noir peut bouleverser, guérir et réinventer les fondements mêmes de l'éducation.
Cette session était bien plus qu'une simple discussion; c'était une invitation à ressentir, à réfléchir et à écouter. La conversation a tissé un lien entre les voix d'artistes, d'universitaires et de visionnaires, retraçant une lignée qui va de l'éloquence de James Baldwin à la musique expérimentale de Julius Eastman, et mettant en avant l'urgence de placer les connaissances noires au cœur de notre manière d'enseigner et d'apprendre.
Ce qui a suivi était un voyage à travers le son et la mémoire, invitant les participant.e.s à réfléchir à la manière dont les pratiques sonores noires pourraient transformer non seulement les programmes scolaires, mais aussi la façon dont nous habitons le présent et imaginons l'avenir.
Raegan Mitchell, premier narrateur de la session, a fait valoir via Zoom que l'échange entre Baldwin et Weiss était plus qu'un débat; il s'agissait d'un événement sonore, d'une performance de la connaissance surréaliste noire qui résonne à travers les générations. La manière dont le style rhétorique de Baldwin, décrit par le New York Times comme « mélodique et rythmé », transforme le débat en un acte collectif de témoignage, est devenue une référence pour la session.
Mitchell a suggéré que c'est là l'essence même du savoir sonore noir : le passé, le présent et l'avenir s'entremêlent constamment, faisant du curriculum une pratique vivante, respirante et profondément sonore.
Warren Crichlow, professeur émérite associé à l'université York, a réfléchi au potentiel radical de l'« écoute hors curriculum », en s'inspirant du travail du compositeur Julius Eastman, dont la musique était un lieu d'expérimentation et d'auto-construction qui résistait aux limites du programme scolaire officiel. Crichlow a retracé le parcours d'Eastman, depuis les sommets de l'avant-garde new-yorkaise jusqu'à l'itinérance et la redécouverte posthume.
Crichlow a souligné comment les titres sans concession d'Eastman obligent le public à se confronter aux systèmes économiques et culturels construits sur le travail et la souffrance des Noir.e.s. Il a en outre fait valoir que l'œuvre d'Eastman illustre la manière dont les pratiques sonores noires bouleversent et réinventent les termes du programme scolaire, invitant les auditeur.trice.s à entrer dans ce qu'il a appelé « un espace inventif où s'opèrent les rêves ».
Jashen Edwards, qui s'est joint à la discussion virtuellement alors qu'il se rendait à l'université de Porto, a élargi le débat grâce à une présentation multimédia mêlant images et audio. La contribution d'Edwards a renforcé l'engagement de la session en faveur d'une approche multimodale, soulignant que la connaissance sonore noire est vécue, incarnée et improvisée. Les éléments visuels et sonores, dont beaucoup s'inspirent de la richesse des archives de ressources telles que The Black Music Project, ont invité les participant.e.s à découvrir l'imaginaire sonore noir comme une pratique à la fois mémorielle et potentielle.
Le modérateur de la session, Walter S. Gershon, qui a ouvert et clôturé l'événement, a réfléchi au pouvoir de l'écoute en tant qu'acte transformateur. Gershon a fait le lien entre son propre parcours en tant que chercheur et musicien et les questions plus larges relatives aux sonorités noires et des curriculums, en évoquant le défi permanent lancé par Baldwin dans son légendaire débat de Cambridge, où il demandait : « Vous voulez que je les prenne sur parole, que je risque ma vie, ma femme, ma sœur, mes enfants, pour un idéalisme dont vous m'assurez qu'il existe en Amérique, mais que je n'ai jamais vu ».
Tout au long de la session, les intervenants ont rappelé à plusieurs reprises que le savoir sonore noir n'est pas simplement un complément au curriculum, mais une force vitale et improvisée qui anime de nouvelles formes d'apprentissage, de réflexion et d'action. Comme l'a conclu Mitchell, « il est important de noter que la notion de voir n'est pas ancrée dans la singularité d'un sens, mais dans celle des capteurs ». La session a appelé à la création d'un registre collectif dans lequel le surréalisme noir et l'imagination sonore restent des présences vivantes, nous faisant passer de la réflexion à la réflexivité, et de l'écoute à l'action transformatrice.