Les héritiers de l'Amérique française

Blog
June 2, 2015
Author(s):
Gabriel Arruda, étudiant-blogueur au Congrès 2015

C’est en terrain connu que le sociologue Joseph-Yvon Thériault présenta sa conférence «Qu'est devenue l’Amérique française » dans le cadre des causeries Voir grand  du Congrès des sciences humaines. Titulaire de la Chaire de recherche du Canada en Mondialisation, Citoyenneté et Démocratie à l’UQAM, l’intellectuel acadien fut cependant professeur de sociologie à l’Université d’Ottawa durant une trentaine d’années. C’est donc au sein de son alma mater que le sociologue dressa le portrait de la francophonie nord-américaine dans le contexte des commémorations des 400 ans de présence française en Ontario. Loin d’être uniquement les réminiscences d’un projet colonial manqué, le français en Amérique est encore aujourd’hui une réalité vivante et complexe.

Que doit-on retenir du portrait de cette aventure continentale? Tout d’abord, un constat : l’Amérique française est aujourd’hui plurielle. De la diaspora haïtienne de Floride aux Acadiens des Maritimes en passant par les immigrants français et les Québécois, les 20 millions de francophones d’Amérique du Nord vivent une diversité d’expériences dont il est difficile de tirer des généralités. On peut même parler d’une situation paradoxale de déclin et de hausse de popularité pour cette langue. Un exemple frappant de ce fait est le cas des Cadiens de Louisiane. Alors que le français parlé décline dans cette région, le caractère francophone est cependant de plus en plus revendiqué par les membres de cette communauté. On peut ainsi parler d’un véritable « success story » identitaire par la popularité croissante de cette culture musicale et gastronomique aux États-Unis.

Cependant, si cette diversité doit être célébrée, elle révèle aussi de nombreux défis. L’éclatement du vieux Canada français au cours des années 1960 sous le coup de la Révolution tranquille du Québec a entrainé une fragmentation de cette francophonie. Cet éclatement rend difficile le projet de «faire société» des communautés francophones à l’extérieur du Québec. Alors que les autres populations européennes se sont successivement intégrées au projet anglo-saxon nord-américain, les francophones ont toujours manifesté une résistance à s'intégrer à celui-ci. Une irréductibilité qui rappelle non sans raison l’analogie usée du village gaulois d’Astérix.

L’auteur et sociologue a conclu sa présentation en abordant le rôle particulier qu’a joué le mythe d’Évangeline dans la construction identitaire nord-américaine. Rédigé en anglais par le célèbre poète américain Henry W. Longfellow, ce poème raconte les pérégrinations d’Évangeline Bellefontaine à travers l’Amérique à la recherche de son fiancé Gabriel, déporté par les Anglais lors du Grand Dérangement de 1755. Illustration des bienfaits de la démocratie étatsunienne pour les Américains et avertissement pour les Canadiens français, ce poème fut aussi l’acte de naissance de la communauté acadienne. L'héritage complexe de ce poème permet d’illustrer la nature particulière de cette francophonie qui subsiste depuis plus quatre siècles sur ce continent.